UNE VOIX DANS LE DÉSERT
La classe politique malienne et ses média ont, sans relâche
et à l’unisson, désinformé, désinformé, désinformé et ont réussi leur coup. Un
coup imparable, il est vrai, puisque leur adversaire est littéralement
knock-out. Non pas groggy, mais K.-O.
La CEDEAO, l’UA : toute l’Afrique a fait chorus avec
« ces » maliens.
Les Organisations de défense des droits de l’homme ont
adoubé,
Le G8 a béni.
Le conseil de Sécurité a légiféré.
L’Armée française a sorti le grand jeu et montré de quoi
elle était capable. Elle a fait la démonstration qu’un avion de chasse lancé à
Mach2 pouvait, de dix mille mètres d’altitude, pulvériser, dans un désert
intégral, un Touareg en dépit de sa redoutable kalachnikov. Une magistrale
démonstration. Un des fameux théorèmes de Fermat enfin élucidé.
L’intégrité du territoire malien est rétablie voire
renforcée.
Diouncounda Traoré, l’homme qui revient de loin, le
« frère » du Président français peut enfin sourire et même rire à
gorge déployée, faisant montre de dents d’une blancheur éclatante.
On peut se permettre un ouf de soulagement : l’humanité
est passée à deux doigts de la catastrophe.
…
Mais ces Touareg, en quoi diffèrent-ils des millions de
leurs frères de race éparpillés sur cette immense bande de sable chaud qui va
de l’Atlantique au Lac Tchad ?
Pourquoi sont-ils si méchants ? Pourquoi en veulent-ils
au Mali et à ses dirigeants qui les ont littéralement choyés, nourris, blanchis
et leur ont offert l’hospitalité sur les deux tiers de leur territoire ;
le tout sans contrepartie? Ne devraient-ils pas être, ces Touareg,
reconnaissants aux Modibo Keïta, Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou
Toumani Touré et à leurs gouvernements de leur constante sollicitude? Se
rendent-ils seulement compte qu’il leur a été donné, durant ces longues années,
de respirer l’air le plus sain et le plus vif qui soit : celui de ces vastes
contrées laissées exprès vierges à leur intention ?
Voilà des questions que peu de gens se sont posées. Nous,
si.
Ce que nous avons découvert
va étonner plus d’un et accablera autant. Nous en avons fait un livre que nous
avons adressé il y a cinq mois (début Février) à deux des plus grands groupes
d’édition français dans l’espoir que sa publication aiderait (obligerait) les
uns et les autres à poser correctement l’épineux et récurrent problème malien.
Ne dit-on pas qu’un problème bien posé est à moitié résolu ?
Les maisons d’édition faisant partie de ces groupes n’ont
malheureusement pas pu le publier ; soit qu’il n’entrait pas dans leur
ligne éditoriale, soit qu’elles ne croyaient pas lui trouver de lectorat.
L’une d’elles nous a néanmoins fait l’honneur (nous lui en
sommes profondément reconnaissant) de nous donner une appréciation plus
détaillée du manuscrit. Cette appréciation la voici :
« Nous avons étudié avec
attention le manuscrit […] Il ne nous a malheureusement pas paru possible de le
retenir pour publication. En effet, même si le sujet est fort et important, et
les informations apportées riches, sa lecture nous a persuadés qu'il ne
saurait trouver, par l'intermédiaire de nos collections, le public susceptible
de lui faire le meilleur accueil : le problème abordé est trop
"pointu" ».
Nous l’avons confié à d’autres éditeurs et nous avons bon
espoir qu’il paraîtra très prochainement.
C’est du moins notre souhait et ce, d’autant plus que la gestion de la
« crise malienne » est passée depuis le 1er Juillet sous
le contrôle des Nations Unies.
Notre conviction est qu’il permettra, ce livre, à la MINUSMA
de mieux cerner la situation dans laquelle elle s’insère et de lui trouver – pour peu qu’il y ait de
sa part (nous parlons de la MINUSMA) un tant soit peu de probité et de bonne
foi – les solutions les meilleures. Il est le seul ouvrage complet sur la
tragédie de l’Azawad ; le seul ouvrage complet sur les rébellions
touarègues au Mali : leur genèse, leurs
motivations, leur vie, leur mort et leur sempiternelle résurrection.
Parce qu’il nomme les
choses par leurs noms, le livre obligera de même la classe politique malienne
et ses média à sortir des mensonges dans lesquels ils s’enferment. Il ne leur
laisse aucune échappatoire. Ils ne peuvent plus s’exonérer d’apporter les
preuves de leurs accusations aussi bien que de leurs dénégations.
Mais en attendant…
Le premier tour des élections présidentielles maliennes est
programmé dit-on pour le 28 juillet. Aujourd’hui.
Il faut coûte que
coûte éviter que le Mali ne redevienne un nouveau Kenya et que ne soit élu un
Président passible de la Cour Pénale Internationale. Or tous ceux qui
s’affichent, qu’on voit à longueur d’émission et qu’on entend, tous ceux qui
tiennent les rênes du peu de pouvoir qui reste encore aux mains des maliens,
tous les prétendants à la magistrature suprême, tous ceux qu’on dit archi-favoris,
tous ceux-là sont les mêmes qui ont géré le pays durant ces vingt dernières
années. Ils ont été plongés jusqu’au cou et parfois jusqu’à l’immersion totale
dans les miasmes de la politique et des affaires dont on voit le résultat
aujourd’hui. Ils ont été Ministres des Affaires Etrangères, Ministres de la
Justice, Ministres des Finances, Ministres de la Défense et des Forces armées,
Ministres de l’Intérieur, Ministres de la Fonction Publique, du Travail et de
la Modernisation de l’Administration, Ministres des Zones arides et semi-arides
(ça ne s’invente pas), Ministres de… etc. Certains ont occupé tous ces postes ou
presque les uns après les autres et d’autres ont été Présidents de l’Assemblée Nationale et même
Premiers Ministres.
Sait-on seulement que même l’actuel Premier Ministre Diango
Cissoko – que tout le monde croit blanc comme
neige – a été de 1971 à 1979 à la tête des Services pénitentiaires maliens et,
même Directeur de la Prison Centrale de Bamako de sinistre renommée ?
Qu’il a été Ministre de la Justice, Garde des Sceaux de 1984 à 1988 ? Le
tout sous le Général Moussa Traoré. Pour ceux qui ne savent pas ce que cela
implique, nous leur recommandons de lire « TRANSFERTS DÉFINITIFS » du
Colonel Assimi Souleymane Dembélé (Editions Le Figuier, Bamako, Mali, 2003) :
ils seront édifiés.
Nous pensons donc qu’en publiant sur le net quelques
extraits du livre à paraître, nous faisons œuvre utile et que ceux qui ont
véritablement souci du Mali, qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur
accepteront de revoir leurs « copies » à la lumière des informations
fournies.
Nous sommes de ceux qui croient – même si nos raisons ne
sont pas les mêmes que celles des autres – qu’un report des élections (même
entre les deux tours) ne serait en aucun cas catastrophique. Nous pensons, pour
notre part, que ce report aurait permis (ou permettra) aux maliens - du moins à ceux d’entre eux qui ont à cœur
que le Mali devienne véritablement une Nation au lieu de n’être qu’un Etat
- aussi bien qu’à la Communauté
internationale de revoir tout le processus de reconstruction du Mali sur des
bases plus saines. Notamment – et ce ne sera pas le moindre des bienfaits de ce
report – en excluant du processus tous ceux impliqués dans les graves
manquements aux droits de l’homme au Mali durant ce dernier demi-siècle.
Le Mali a besoin de repartir du bon pied, débarrassé des
salissures du passé, réconcilié avec lui-même, réconcilié avec son histoire. Le
Mali fut, de tous les pays africains au Sud du Sahara, celui qui, très tôt et
le premier, s’ouvrit sur le monde extérieur ; celui qui le premier apporta
une contribution de valeur à la civilisation universelle.
Notre livre, une fois paru, aidera tous les acteurs
impliqués dans la recherche d’une paix durable au Mali à appréhender la
« situation » dans ses dimensions vraies. Les extraits publiés
permettront déjà d’amorcer un dialogue plus constructif et de bâtir des plans
de « refondation », comme disent certains, plus pertinents et donc
plus viables.
Ces extraits comporteront essentiellement :
l’ « Introduction » (pp. 11-29),
la rubrique : « Sur la plus haute marche » (pp.
145-148) et la « Conclusion » (pp. 171-174) auxquelles s’ajoutent la
« Note liminaire » (pp. 7-9) et le « Sommaire » dont
l’énoncé seul suffira à rafraîchir la mémoire à quelques uns, amnésiques
véritables mais aussi à des milliers de faux amnésiques.
Nous savons (et il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour
arriver à cette conclusion) que si la situation au Mali est telle qu’elle se
présente aujourd’hui, c’est bien parce que beaucoup d’acteurs de l’intérieur et
de l’extérieur ont fermé les yeux ; c’est bien parce que beaucoup d’acteurs
de l’intérieur et de l’extérieur l’ont voulue ainsi.
Les autorités de transition du Mali parlent de
réconciliation mais elles reconduisent, au Nord-Mali, la même administration
militaire qui a mis à feu et à sang l’Azawad depuis des décennies.
S’il y a une ville symbolique dans ce Nord-Mali, c’est bien
la ville de Tombouctou et, à cela, deux raisons au moins : sa dimension
mythique d’abord et les tueries, ensuite, qui s’y déroulèrent du Vendredi 10
Juin 1994 au Mercredi 29 Juin 1994. Massacres et tueries d’une bestialité telle
qu’il faudrait pour les qualifier compulser tous les dictionnaires : en
dehors des guerres entre nations, il n’y en eut guère de semblables nulle part
ailleurs.
Or qui envoie-t-on à Tombouctou comme Gouverneur ? Le Colonel-major Mamadou Mangara qui, dans
une interview accordée à l’Agence mauritanienne AL AKHBAR et reprise par le
journal malien NOUVEL HORIZON (n° 4367 du 19 Février 2013 page 5) dit :
« J’ai été Commandant de compagnie à Kidal en 1985. (…) Je n’ai pas vu
d’Arabes ou de Tamasheks blancs restés à Tombouctou. Ils sont partis par peur
(…) Leurs boutiques ont été
pillées. »
Le Colonel ne trouve même pas matière à s’indigner. Ne
serait-ce que pour le principe.
Voilà comment, à
Bamako, on prépare la réconciliation entre maliens, alors même que l’Armée
française est encore au Mali et sur le terrain ! Voilà les hommes avec
lesquels on veut bâtir le Mali nouveau.
Qu’en sera-t-il lorsque les forces d’intervention étrangères
auront quitté le sol malien après avoir remis aux autorités de Bamako un Azawad
émietté, pilonné, piétiné, bâillonné, exsangue et poursuivi, sur la base
d’allégations tendancieuses, par toutes les juridictions
internationales ?
Les extraits que nous publions permettront (nous en
reformulons l’espoir) de reconsidérer toute l’équation malienne et, au-delà de
l’histoire immédiate et des contingences
qui peuvent parfois être prégnantes, de lui trouver des solutions inédites et
qui préservent mieux l’avenir.
Barack Obama n’a pas pu se rendre au Kenya - quelque envie qu’il en ait - parce que
l’actuel Président kenyan est jugé infréquentable par la Maison Blanche. Il ne
faudrait pas que, pour les mêmes
raisons, demain, le Président français,
de quelque bord qu’il soit, ne puisse pas se rendre à Bamako pour serrer dans
ses bras ses « frères » et obligés.
…
Sans être naïf ou vouloir nous faire passer pour tel et,
bien que conscient du peu de portée de tout message de sagesse, nous préférons,
par cette contribution, être de ceux qui, nonobstant ce handicap, ont toujours choisi
d’être une voix qui prêche… dans le désert.
Majed Lotfi Haroun
28/7/2013
EXTRAITS
MAJED LOTFI HAROUN
L’ENFER
L’AZAWAD
Les documents qu’il faut avoir le courage de lire
(ou de relire)
*Pour la page
4 de couverture
Voici des hommes et des femmes qui,
depuis des millénaires - les vestiges
préhistoriques (peintures rupestres et autres) l’attestent - sont sur leur sol ; des hommes et des femmes qui, en dépit de
leur démographie qui ne les a jamais aidés, se sont battus furieusement et très
souvent victorieusement contre les envahisseurs (ce qui leur a permis, à toutes
les époques, de préserver leur indépendance ou, à défaut, de garder une très
large autonomie) ; voilà qu’aujourd’hui, où le droit à l’autodétermination
est un droit reconnu à tous les peuples, on refuse à ces mêmes hommes et à ces
mêmes femmes la simple autonomie qui, leur permettrait, tout en restant
solidaires des autres, de garder leur âme. Et l’on veut qu’ils acquiescent. Et
qu’ils collaborent à leur propre assassinat. Et qu’ils ne puissent plus, le
soir, danser au son du Tbel.
Et le monde entier se ligue contre eux.
On les enferme, on les affame, on les opprime, on les massacre par campements
entiers. Mur du silence. Chape de plomb. Omerta. Jamais vocables n’ont été
employés à si bon escient.
Il faut que les Touareg aient, dans
leur longue histoire, commis des crimes si odieux, des actes si contre
nature ; il faut qu’ils aient été, en un mot, si haïssables pour mériter
tant de haine et que la communauté entière des nations leur tourne le dos pour
ne pas voir leurs larmes ; et se bouche les oreilles pour ne pas entendre
leurs cris ; et les narines pour ne pas sentir la puanteur de leurs
cadavres.
*
Epigraphe
« De l’ère
« socialiste » de Modibo Keïta
au long règne des militaires sous la férule de Moussa Traoré, ce furent trente
années de violences sans nom ».
Moussa
Konaté
Préface du livre « Transferts définitifs »
du colonel
Assimi Souleymane Dembélé
Editions Le Figuier, Bamako, Mali, 2003
« Il y a des temps – et je crois que
celui-ci en est un – où il ne suffit pas de dire sa vérité, il faut la crier».
Gilbert
Cesbron
TOUAREG … ?
« Au fil des siècles et du nomadisme, le
métissage tribal et l’assimilation culturelle ne permettent plus de distinguer
touaregs et arabes, comme on le fait encore à tort entre les populations
amazighophones et les berbères arabisés au Maghreb. Les Kountas, Beraber,
Berabich, Zenaga, Iguellad, Ansar, Chorfa, etc. d’origine arabo-berbères, qui
nomadisent des confins désertiques maghrébins jusqu’à Zinder, se sont au fil
des siècles complètement fondus dans la culture touareg au désert (langue,
mœurs, traditions, habillement, coutumes sociales et juridiques…) Ils forment
en réalité un seul peuple vivant en symbiose. »
Saâd Lounès : Les Echos N° 3701 du 5
juillet 2011
Tout au long de ce
livre, le vocable Touareg désignera donc
- sauf exception dûment indiquée - aussi bien les Touareg stricto sensu
que les Arabes (ou Maures) : c’est-à-dire les populations de race blanche
que l’on a coutume de désigner au Mali par le terme générique de Nomades.
SOMMAIRE
NOTE LIMINAIRE …………………………………………………………………………..7
INTRODUCTION …………………………………………………………………….10
Note d’introduction
…………………………………………………………………… …11
Après
et … AVANT-PROPOS…………………………………………………………30
Ecueils
et maléfices …………………………………………………………………….31
LES
RÉBELLIONS TOUARÈGUES : HISTORIQUE ET PROBLÉMATIQUE….32
Saâd
Lounès : Les Touareg veulent des Etats fédéraux au Mali et au Niger……………….33
GENÈSE
DE LA RÉBELLION AZAWADIENNE…………………………………43
ATT :
Allocation à propos de la Conférence de Tombouctou (Novembre 1991)……….44
Ambéïry Ag
Rhissa : Question Touareg - Extrait : La provocation……………………50
Et si on
parlait de
jambes ?.............................................................................................51
OCRS
………………………………………………………………………… ….53
Ambéïry Ag
Rhissa : Question Touareg -
Extrait : L’OCRS………………………… 56
Med Elmehdi
Ag Attaher : Droit de réponse………………………………………….58
L’embrasement
de l’Adrar…………………………………………………………… 61
Pourquoi
tout ce battage ?...............................................................................................65
LES
TOUAREG RÉCLAMENT L’AUTONOMIE DE L’AZAWAD……………70
Document de
la 1ère négociation officielle Mali-Fronts (Mauritanie 7-12/9/1990)………….71
Lettre
ouverte des Fronts aux Chefs d’Etat et de Gouvernement réunis au Palais de
Chaillot
à Paris du 19 au 21 Novembre 1991……………….75
Déclaration
de Tawardé
………………………………………………………………….77
Fax Fronts à
Soumeylou Boubèye Maïga DG Sûreté
Bamako…………………………….80
Récapitulons……………………………………………………………………………….81
RÉPONSE
DES AUTORITÉS MALIENNES : INSINCÉRITÉ ET MAUVAISE FOI 82
Le rocher de
Sisyphe……………………………………………………………………… 83
Réponse du
Ministre de l’ATCL au journal Le Républicain sur l’application des Accords
d’Alger 84
Document
Fronts – Communiqué FIAA à propos de la rencontre du 15-18/7/95 à
Tombouctou…85
Extrait
Journal Mauritanie Nouvelles : Konaré entre paix et guerre
civile…………………………86
Ambéïry Ag
Rhissa : Question Touareg – Extrait : Insincérité et mauvaise
foi…………………….87
Gandakoye……………………………………………………………………………………90
La voix du
Nord (organe de Gandakoye) N° 00 ……………………………………………….92
GESTION
CRIMINELLE DE LA CRISE DU « NORD-MALI »………………………96
Les fruits
de l’impunité………………………………………………………………………97
Ambéïry Ag
Rhissa : Question Touareg – Extrait :
l’aveuglement…………………………….100
Les portes
de l’enfer………………………………………………………………………104
Document Kel
Essouk……………………………………………………………………106
Tombouctou
martyrisé………………………………………………………………….112
Salka mint
Mahfouz : « Ils ont tué mon mari sous mes
yeux »…………………………….114
Houday Ag
Mohamed : Le lieutenant Blo, le tueur de Ber démasqué……………………..117
Documents
Fronts……………………………………………………………………….128
Note
d’information sur les massacres de Gao, Tombouctou, etc. ……………………….129
Liste
partielle des exécutions sommaires de Léré (20/5/1991)…………………………….131
L’attaque de
la garnison de Lerneb……………………………………………………….133
Lettre des
cadres et notables de Tombouctou au Président du CTSP……………………..134
Aliou A.
Touré : Menaces d’assassinat contre ATT……………………………………….140
Amnesty
International : Rapport 1991……………………………………………………142
KWIA :
Lettre au Président Alpha Oumar Konaré………………………………………144
Sur la plus haute
marche…………………………………………………………………145
La forfaiture……………………………………………………………………………149
Extrait
journal La Nation : Sur le champ de l’honneur……………………………………151
APPENDICES……………………………………………………………………….152
SBM…………………………………………………………………………………153
Le lapsus
qui accuse………………………………………………………………….156
Qui l’eût
cru ?................................................................................................................158
Ô Mali de
toujours ! ………………………………………………………………….162
CONCLUSION…………………………………………………………………….170
Ensemble on est plus fort
……………………………………………………………171
ANNEXES………………………………………………………………………….175
Ambéïry Ag
Rhissa : Question Touareg – Problèmes du Nord : Brève genèse
historique…176
La Voix du
Nord (organe de Gandakoye) : photocopie parution
originale……………….184
Lettres des
cadres et notables de Tombouctou au Pt du CTSP : photocopie de
l’original…188
Amnesty
International : Rapport 1991 – Version anglaise………………………………193
Document Kel
Essouk – Texte arabe…………………………………………………195
Accord de
Tamanrasset du 6 Janvier 1991………………………………………….199
Pacte
National du 11 Avril 1992…………………………………………………….204
NOTE
LIMINAIRE
14 Janvier 2013
L’introduction
de ce livre a été écrite en Juillet 2012. Depuis, l’histoire s’est emballée.
Les événements ont changé de nature. La France, en s’engageant au Mali comme
elle le fait, c’est-à-dire : en prenant résolument, souverainement
« les choses en main », joue son va-tout. Elle veut sauver son pré carré.
Elle veut surtout continuer à n’avoir affaire qu’aux seuls maliens
qui lui font allégeance. Du même coup, elle donne au monde et aux
Africains, qui ont applaudi son refus d’ingérence (au grand jour) en
Centrafrique, la preuve la plus éclatante qui soit que la Françafrique n’est
pas morte. En même temps qu’elle fait la démonstration que l’Armée malienne ne
peut se battre à armes égales contre ses « rebelles ». Homme contre
homme. Cela explique la propension de
cette armée à ne s’en prendre qu’aux civils ; qu’elle massacra, au cours
de ces cinquante dernières années, comme on le verra, dans les pages qui
suivent, de façon implacable.
Ceci
dit, cette introduction écrite depuis six mois n’est-elle pas en décalage par
rapport aux événements et, pour ainsi dire, hors de propos ? Je ne
le crois pas et c’est la raison pour laquelle je n’y changerai pas une virgule.
Les documents que je présente, au surplus, se passeraient aisément
d’introduction. Elle ne sert qu’à recréer le climat, l’atmosphère des
événements qu’ils relatent. La thèse que j’y défends – celle, il me semble, du
bon sens et de la sagesse – est que les maliens doivent savoir prendre leur
destin en main, sans ingérence aucune ; se réconcilier pour s’asseoir
autour d’une table et négocier en n’ayant pour seul objectif que la grandeur du
Mali. Ce qui n’exclue pas que les
criminels, une fois bien identifiés, soient jugés avec toutes les garanties
d’équité.
La
France, avec son intervention actuelle, mène, à visage découvert, sa guerre à elle contre les Nomades maliens (1).
Elle peut la gagner. La disproportion entre les forces (bombardiers contre
fusils d’assaut) joue en sa faveur. Mais après, voudra-t-elle, pourra-t-elle
recoloniser le Mali et s’y installer une décennie ou deux pour pérenniser sa
(probable) victoire ?
Et
le Mali (parce qu’après tout il s’agit ou il s’agira, qu’on le veuille ou non,
du Mali et de son avenir) que gagne-t-il dans cette intervention qui l’oblige à
abdiquer son libre arbitre et sa souveraineté ? (Et qu’on ne nous dise pas
le contraire). Est-il satisfait du rôle qu’on lui fait jouer ? A-t-il
mesuré toutes les conséquences de cette intervention française ? Comment
ses futurs dirigeants pourront-ils garder un pouvoir qui leur aura été remis
(si jamais il l’est) de cette façon ?
Qui pourra lui garantir que la rébellion une fois terrassée ne se
relèvera plus ?
Modibo
Keïta, en 1964, avait proclamé triomphalement la fin de la rébellion. Elle a
repris plus forte vingt six ans après, en 1990. Les Accords de Tamanrasset et le
Pacte National (non appliqués depuis) y ont mis fin pour un temps. Elle a
repris vingt ans après et la débâcle actuelle de l’Armée malienne donne une
idée de sa vigueur.
Tout
cela me remet en mémoire les fameuses trois courbes de Jules Romains (2) :
celle de la nature humaine, celle des institutions et celle de la technique (ou
du pouvoir qu’elle confère) qui cheminaient côte à côte depuis des millénaires
et qui, avec les temps modernes, s’écartèrent dangereusement les unes des
autres. Surtout celle de la technique qui s’emballa, seule, provoquant des
catastrophes et des guerres sans commune mesure avec celles du passé (les
institutions, imparfaites déjà et accusant un retard considérable par rapport à
la technique, ne pouvant jouer leur rôle et brider les impulsions violentes d’une
nature humaine, elle-même restée fruste).
Jules
Romains de conclure que si les trois courbes continuent de s’écarter
vertigineusement les unes des autres, on ne peut échapper aux conclusions suivantes :
1° - « Le
même jeu de forces qui jusqu’ici a produit les catastrophes n’a aucune raison
de n’en pas produire de nouvelles […]
2°
- « Une nouvelle catastrophe sera
nécessairement beaucoup plus grave que la dernière. Elle présentera le pouvoir
de destruction de celle-ci plusieurs fois multiplié – d’autant plus de fois
multiplié que l’intervalle entre les deux catastrophes aura été plus long.
(Donc, en fin de compte, l’allongement du délai sera sans profit pour
l’humanité.) »
Le
Mali ne craint-il pas qu’il en soit de même pour lui et que cette parenthèse
française ne se révèle être, dans les années ou décennies à venir, sans profit
pour lui ? Ne craint-il pas que la prochaine (et quasi certaine) rébellion
ne l’emporte comme, naguère, fut emportée la Somalie ?
La
« rébellion », lorsqu’elle stoppa volontairement son avancée, avait
Bamako à portée de fusil. Elle a eu la sagesse de s’arrêter. (Certains diront,
aujourd’hui, la naïveté). Les Autorités maliennes et leur classe politique
n’ont pas eu la sagesse (ou en ont été empêchées) de négocier et, ce faisant,
de réconcilier les maliens, tous les maliens. De quel poids sera la parole du
Mali pour qu’une prochaine rébellion accepte de l’entendre ?
La
France, de son côté a-t-elle mesuré la responsabilité qui sera la sienne, au
cas (plus que probable - puisque beaucoup d’officiers maliens l’ont dit à leurs
confidents) où les militaires maliens traînés dans la boue et humiliés par les
rebelles, profitant du parapluie français et renouant avec l’ère Diby, se
vengeraient sur les civils ? Certains ont promis carrément de faire
« place nette » en Azawad.
Personne
ne peut se targuer d’ignorer la soif de vengeance qui les anime. Fils de
soldat, touché au plus profond de son être par la peu glorieuse déroute de son
armée, le Président par intérim lui-même (relisez son tout premier discours),
de retour de Ouagadougou où il venait d’être fraîchement investi de ce titre,
ne parle que de « guerre totale et implacable ».
…………………..
Notes :
(1)L’argument
« AQMI » est un faux argument. Cette organisation était au Mali bien
avant les événements récents et personne, ni la France ni les pays occidentaux
qui la soutiennent aujourd’hui n’ont rien fait ni même rien tenté pour
l’éradiquer. Seules l’Algérie et la Mauritanie essayaient (sans coordination
réelle, il est vrai) de s’opposer à son implantation, aussi bien militairement
que par leur refus permanent de négocier avec les preneurs d’otages quels
qu’ils soient. Durant ce temps, tous les pays occidentaux ou presque ont
négocié (directement soit indirectement) la libération de leurs ressortissants
au mépris de leurs propres déclarations. Beaucoup d’analystes n’hésitent pas à
dire que la présence d’AQMI en Azawad a
été, sinon voulue, du moins grandement facilitée par les gouvernements maliens
successifs. Elle leur permettait de se faire valoir en jouant « les Messieurs
bons offices » en même temps qu’elle rendait probable une intervention
étrangère qui les débarrasserait, dans la foulée, de leurs « oreilles
rouges ». Le scénario en cours depuis le 11 Janvier.
La
guerre qui est menée ces jours-ci ne peut avoir qu’un objectif : empêcher les Touareg maliens
d’avoir leur autonomie ; comme ils en ont été, durant ces vingt dernières
années, empêchés par des politiques d’aide et de soutien multiformes et sans
limite des puissances occidentales au Mali. Alors même que le Pacte National
signé solennellement à Bamako en Avril 1992 (et non appliqué) « consacr[ait] le statut particulier du Nord du Mali », ce qui équivaut exactement, selon le
Titre III du Pacte, à une autonomie.
La
stratégie la moins aléatoire et aussi la
moins coûteuse (à tout point de vue), pour la communauté internationale,
d’éradiquer le terrorisme en Azawad – si
c’est vraiment de cela qu’il s’agit -
n’est-elle pas justement (comme le pensent et le disent les meilleurs
spécialistes de ces régions) d’octroyer aux Azawadiens leur autonomie et de les
laisser s’occuper d’un problème qu’ils sont plus à même que n’importe qui
d’autre de régler ?
(2)
« Le Problème numéro un », Plon, 1947 (in « Civilisation
contemporaine » M.-A. Baudouy et R. Moussay, Hatier, 1976).
NOTE
D’INTRODUCTION
Faut-il qu’un peuple disparaisse pour savoir qu’il
existe ?
Mano Dayak
Juillet
2012
Quand le pouvoir délire. C’est le titre de l’article de Sidi El Moctar
Kounta (1)
à propos des cinquante années d’indépendance du Mali. Il commence ainsi :
« À la
veille de la célébration du cinquantenaire de l’accession de notre pays à
l’indépendance comme si le temps des épanchements était venu, comme s’il
s’était agi d’une sorte d’exorcisme, prélude à la catharsis nécessaire pour
regarder l’avenir en face, les langues se délient, les témoignages se
multiplient. Le Mali indépendant ouvre ses trappes et, à dose homéopathique,
livre la face cachée de l’iceberg de son histoire récente.
Le capitaine
commissaire Mamadou Belco N’Diaye vient de publier aux éditions Imprimeries du
Mali Quand le pouvoir délire, un livre témoignage… Il se veut le
prolongement de Dix ans au bagne-mouroir de Taoudénit du sergent chef
Samba Gaïné Sangaré, Le Chemin de
l’Honneur de l’adjudant Guédiouma Samaké, Transferts Définitifs du
colonel Assimi Souleymane Dembélé, Ma
Vie de Soldat du capitaine Soungalo Samaké et le Salaire des Libérateurs du vieux
RDA (2),
Amadou Seydou Traoré.
D’autres fils du pays, au
nom du devoir de mémoire, se doivent de porter témoignage de ce que fut notre
existence commune dans une entreprise désormais aux allures de vérité – pardon
et réconciliation ».
Mais peut-on tout
pardonner ? Je dis bien : « tout ».
Peut-on pardonner quand
« l’autre » refuse de reconnaître ses torts ? De reconnaître ses
crimes ? Et même disons-le, tout uniment, doit-on pardonner ?
C’est la grande
question.
Question que les
Touareg finiront bien – à leur corps défendant - par se poser si l’on s’obstine
à ignorer leur main, toujours et imperturbablement, tendue.
Jamais, au grand
jamais, les autorités maliennes n’ont, dans leur histoire, fait preuve de la
moindre compassion lorsque les populations nomades ont été accablées par le
malheur. Même pas lors de calamités naturelles. À propos de la terrible
sécheresse de 1973, voici ce qu’écrivait Philippe Decraene dans « Le Monde »(3) :
« Comme nous
l’indiquait un fonctionnaire international, « l’alerte à la famine a
été donnée de l’extérieur, et les dirigeants maliens ont simplement suivi…» Un
de ses collègues nous précisait : « Le gouvernement malien estime que
trop de missions étrangères viennent en
visite ici… Il refuse les visites impromptues dans les camps de réfugiés,
exigeant de longs préavis… Comme par hasard, lorsque, après de longues
démarches, la demande est agréée, les sinistrés sont alignés impeccablement et
encadrés par des infirmiers et des docteurs en blouse blanche… » Un
troisième nous a demandé : « Pourquoi les autres Etats voisins,
éprouvés par la sécheresse, parlent-ils quotidiennement de la famine, alors
qu’au Mali la radiodiffusion et la presse écrite ne l’évoquent
qu’exceptionnellement ? Tout se passe comme si l’on voulait cacher quelque
chose… »
Aujourd’hui encore, ce
grand déballage, dont parle Sidi El Moktar Kounta et qu’il appelle de tous ses vœux, ce
déballage ne concerne que de « petits et mesquins » pourrait-on dire,
règlements de comptes au sein de l’Armée et entre militaires de la junte et
leurs collaborateurs de la société civile noire du Mali, anciens affidés.
Jamais, il n’est question du sort fait aux Touareg, comme si ceux-ci vivaient
dans le grand nord sibérien ou dans la pampa brésilienne et non pas au Mali. Pourtant, qu’est le bagne de
Taoudéni (où mourut Diby Silas Diarra après avoir, lui-même, tué froidement des
centaines d’innocents) auprès de l’enfer de l’Adrar des Iforas avec ses puits
empoisonnés, son cheptel décimé, ses campements incendiés, ses hommes massacrés
et leurs femmes offertes aux soldats ? Qu’est le « bagne-mouroir de
Taoudénit » (dont sont ressortis vivants des dizaines de condamnés aux
travaux forcés, parmi lesquels quelques uns de ceux qui lancent, ces jours-ci,
leurs cris d’orfraie) auprès de la journée (4)
que fit passer, sous Amadou Toumani Touré, le capitaine Berdougou Koné à la
petite bourgade « foraine » de Léré, où il fit exécuter par ses
hommes venus de Bamako, toute la notabilité : l’imam de la mosquée, des
chefs traditionnels, la presque totalité des commerçants y compris des
commerçants mauritaniens et jusqu’à une petite fille apeurée, accrochée aux
basques de son père, pharmacien, qui a tout fait pour l’éloigner ? En tout
quatre vingt dix personnes.
Heureusement qu’il y a
ces feuilles quotidiennes ou hebdomadaires qui tirent à très peu d’exemplaires
et en vendent encore moins, éminemment périssables et qui, passant entre les
mailles des filets, font parfois – pour nombre d’entre elles – leur travail,
c’est-à-dire qu’elles n’entravent pas l’information lorsqu’elle leur parvient.
C’est par elles, à condition qu’on se trouve à Bamako ou aux environs
immédiats, qu’on peut avoir la chance d’être, de temps en temps, informé sur à
peu près tout et, accessoirement, sur les Touareg et l’Azawad, leur habitat.
Parce que l’Azawad,
c’est tabou. Au Mali, l’appellation, elle-même, est occultée. On dit et on
écrit – même si cela ne signifie rien, même si c’est d’un pompiérisme désuet et
fat - on dit et on écrit, toutes classes
sociales confondues, le « Septentrion ». Ailleurs, dans les média
français et aux Nations Unies, c’est le « Nord-Mali ». On ne peut pas
être plus précis ! Doit-on comprendre que la Provence c’est le « Sud-France » ?
L’Azawad, c’est tabou.
Les Touareg, c’est la peste. Une plaie universelle. Déjà, au tout début de la
colonisation française,
« Un officier… du
Cercle d’Agadez [a proposé] à sa hiérarchie d’exterminer les Touaregs, comme le
furent tragiquement les Indiens d’Amérique.
« Si nous voulons
à toute force rester dans ce pays de sable, il nous faut songer à le pacifier
coûte que coûte, sans avoir aucune pitié pour la race touareg qui n’acceptera
jamais, à mon sens, de se ranger sous la loi d’un maître qui prêche la paix et
le travail. Les Touaregs n’ont pas plus de raison d’exister que n’en avaient
jadis les Peaux Rouges. Malheureusement, le climat du désert et l’être
fantastique qu’est le chameau nous
créent des obstacles que n’ont pas connus les Américains. Il est cependant possible
de vaincre les difficultés. La guerre européenne terminée, nous pouvons
disposer de quelques escadrilles d’aéroplanes. L’envoi de ces puissants engins
serait d’un effet radical. Le chameau aura vécu ? Tant mieux. Il n’y aura
qu’à attendre les chemins de fer et, pendant ce temps, les pâturages pourront
pousser librement quand il aura plu. La question de l’aéroplane doit être posée
le plus tôt possible. À moins que nous ne décidions de céder des territoires
qui laissent autant de blanc sur nos registres que sur les cartes les plus
complètes. Mais y aura-t-il preneur ? » Saâd Lounès(5)
Pour moi qui quittai
tout jeune, avec mes parents, il y a bien longtemps de cela, ce qui s’appelait
alors le Soudan Français et qui voulus, à la lumière des récents événements,
reprendre contact avec le Mali « nouveau », mon étonnement et mon
désappointement furent immenses. Naguère herbeux et boisé, par endroits arrosé
par des bras de fleuve, avec ses lacs et même sa mer intérieure, à la saison
des crues du fleuve Niger, son Tilemsi aux lits d’oueds ombreux, l’Azawad que
j’ai retrouvé n’avait rien avoir avec celui que j’avais emporté avec moi et
dont mon imagination s’obstinait à ne pas se défaire. À la place, je ne trouvai
qu’un désert intégral, sans herbe, sans arbre, sans eau. Sans habitants.
Alors que je le connus
prospère, fraternel et plein de vie.
Je demandai qu’on
m’expliquât la chose. Mais comment expliquer l’inexplicable ? On
m’entretint beaucoup de sécheresse, de désertification, de changement
climatique. Aussi, de mal gouvernance, de problèmes politiques, de
rébellions…Je restai sur ma faim. C’est alors que, mû par un sixième sens, (il
faut bien l’appeler ainsi), je décidai de réunir tout ce que je pouvais trouver
comme documents provenant de la région. Et je repartis avec une pleine moisson
de journaux, surtout maliens ; et retournai chez moi, de l’autre côté de
ce Sahara que je ne pensais pas, auparavant, être une barrière aussi étanche.
C’est alors que je
compris, à la lumière des documents récupérés (6),
la tragédie de l’Azawad.
Modibo Keïta est passé
par là. Avec son ego démesuré et sa folie à éclipses (ce fut longtemps le
secret le moins gardé au Mali). L’éclatement de l’éphémère Fédération du Mali
et leur claustration, lui et ses frères soudanais dans un wagon blindé, de
Dakar à Kayes, le blessa profondément. Il allait donner sa mesure. Il devint,
au nom de la fierté nationale, opportunément brandie et magnifiée, un
dictateur. Peu après, ayant embastillé les Fily Dabo Cissoko, Hammadoune Dicko,
KassoumTouré, il restait seul. Ses thuriféraires en firent un Dieu vivant. Il
le crut. On chanta en sa présence :
« Modibo Keïta,
Keïta, Keïta ! / Modibo Keïta!
/ Koy berdi kâ no yessé Keïta / A ma
wâga môyo nda djâri !
« Modibo Keïta,
Keïta, Keïta ! / Modibo Keïta!
/ Le Grand Dieu qui nous donna
Keïta / Qu’Il le préserve du mauvais œil
et des malheurs ! »
Et son visage rebondi s’irisait de toutes les
couleurs de l’autosatisfaction.
L’homme se
« carapaça ». Il fit front, seul, poitrine offerte, à tous les impérialismes,
à tous les démons, réels et imaginaires.
Et pour commencer, il
ferma à triple tour « son » Mali et s’employa à tuer toute velléité
de contestation, toute forme d’individualisme. Mais que faire, face à cette
morgue touarègue ? Comment être le plus grand, le plus beau, le plus…
devant plus fier que soi et qui vous nargue, hautain, sabre au flanc, le visage
à demi-dissimulé par un ample litham. Et qui se croit supérieur parce que
blanc ?
Il allait faire ce que
personne avant lui n’a pu faire. Ni les empires africains, du sud et du nord,
avec leurs dizaines de milliers de cavaliers et de fantassins face à quelques
centaines de bédouins éparpillés, engagés dans de multiples guéguerres
intestines. Ni les colons français avec leurs terribles engins de mort. Il
allait, lui, Modibo, le descendant de Soundjata Keïta, briser définitivement
les Touareg et débarrasser, à tout jamais « son » Mali de cette
vermine.
Il se mit en
« croisade ». Il convoqua ses « chiens de guerre » comme
les qualifie le colonel Assimi Souleymane Dembélé. À leur tête, le tristement
célèbre Diby Silas Diarra, « vraie machine de guerre » selon le même
colonel.
Saâd Lounès écrit (7) :
« La répression de
Modibo Keïta, aidé des virulents songhaïs…. a été féroce, proche du génocide
(tueries, massacres collectifs, abattage de cheptel, empoisonnement des puits,
arrestations). Les régions du nord ont été décrétées zones militaires, tous les
postes de fonctionnaires militarisés, et les touaregs écartés de toute fonction
officielle. Après avoir nié la réalité et l’ampleur de cette dissidence, le
gouvernement de Bamako annonce son écrasement complet en 1964 ».
Modibo Keïta pouvait
respirer… à pleins poumons et se reposer enfin. Désormais, le Targui, cet homme
hautain devant qui tout, dans cet immense désert, doit courber l’échine a été
émasculé. Désormais et, jusqu’à la fin des temps, « son » Mali ne connaîtra
plus de rébellion touarègue.
Mais c’est mal
connaître l’homme. Les Touareg, en plus de les exterminer par milliers, il se
fait fort de les asphyxier économiquement en rendant leurs régions invivables.
Les Français ont construit le barrage de Markala pour discipliner le fleuve
Niger, permettre sa navigabilité et faire un peu de cultures industrielles.
Lui, il va faire pomper des milliards de milliards de mètres cubes d’eau pour
arroser d‘immenses plaines dans la région de Ségou, où l’on fera pousser tout
et rien, quitte à ce que le résultat final soit surtout un immense gâchis d’eau
et d’argent. Du moins est-on sûr que les lacs du Faguibine seront desséchés,
que la mer intérieure, du Niger en crue, se réduira comme peau de chagrin, que
les bras de fleuve qui, naguère arrosaient, le long de ses rives, le désert sur
plusieurs kilomètres de profondeur et réalimentaient les nappes phréatiques,
que ces bras de fleuve ne couleront pas. Quitte à faire ce que, de nos jours,
on appelle des dégâts collatéraux chez ses frères de race, Songhaïs et Peuls.
Mais, Modibo Keïta, ce veinard, avait de la chance : l’expression, de son
temps, n’avait pas encore été créée.
Pourvu que le Nord qui
était presque autosuffisant en légumes de toutes sortes, pastèques,
céréales (mil, riz, blé) ou pouvaient l’être (8)
ne le fût plus. Des textes furent promulgués concomitamment pour contingenter
la circulation des céréales : les fameux « Avis de mouvements »
qui interdisaient, sans autorisations signées des gouverneurs des régions du
sud, l’approvisionnement des régions du nord. Le commerce de céréales entre le
sud et le nord du Mali s’arrêta. Au détriment du Nord. Le commerce, en sens
inverse, c’est-à-dire du nord vers le sud, d’animaux sur pied, de viande, de
peaux, de sel gemme, de beurre resta libre parce qu’il ne fallait surtout pas
affamer les maliens véritables que sont les habitants de Bandjagara, Koutiala,
Sikasso, Ségou, Koulikoro, Keniéba, Bamako, Kita et autres Yanfolila…
C’est là (une petite
partie de) ce que je découvris, à ma grande stupeur, en lisant des journaux
maliens parus ces trente dernières années. Je me suis alors demandé comment
tout cela a pu paraître sans que la censure n’intervînt. Il est vrai que
Modibo, de son temps, ne l’aurait pas et ne l’a, effectivement, pas permis.
Mais il a fait des
émules en fait d’exactions. Et il était inévitable que ces émules renchérissent
sur le modèle et même, décident de tuer le pater pour s’affranchir
définitivement.
Seulement, ceux-là,
pourquoi se sont-ils crus autorisés à laisser étaler sur la place publique
toutes les horreurs dont ils sont les auteurs ? Il faut, à l’évidence,
croire que les assurances qu’ils avaient reçues de ne jamais être inquiétés,
étayées par l’expérience des années Modibo Keïta, que ces assurances étaient si
importantes ; et le sentiment d’impunité chez ces émules tel, qu’ils
pouvaient tout se permettre. D’autant que dans leur stratégie, ces publications
éphémères et limitées qui ne débordaient pas le cadre du Mali, avaient ceci de
positif qu’elles ancraient chez les Touareg le sentiment d’être des parias
abandonnés de tous et notamment, de la Communauté internationale. Que leur
combat pour un peu de dignité n’avait pas de lendemain.
Il faut surtout croire
que ces assurances étaient irréfragables. Sinon, comment expliquer la
publication de témoignages comme ceux-ci :
« a) Zone de
TAWARDE
Dans cette zone située
à quelques deux cents kilomètres au Nord-est [de Kidal] la compagnie des Paras
a exécuté sommairement ou brûlé simplement des personnes ; des femmes,
dont certaines en grossesse, ont été arrachées à leurs maris et « offertes »
aux soldats qui les ont violées »
…….
e) AKLIT (25 km Ouest
de Kidal)
Là, la même compagnie
des Paras a mis à feu et à sang le campement d’un chef de fraction mobilisé
pour trouver la solution à la rébellion. Auparavant le chef des Paras a
rassemblé les femmes d’une part et les hommes de l’autre. Demi-vêtus, ils ont
tous été atrocement molestés aux cravaches et aux ceinturons. Le discours
suivant fut tenu aux femmes par le chef de mission : « Nous allons
tuer vos maris que voici, et nous vous épouserons pour avoir de vous des
enfants qui vont nous aimer ».
Joignant le geste à la
parole, il fit jeter sur les hommes inertes et entassés une première grenade
suivie peu après d’une deuxième. Bilan : 6 morts et 4 blessés graves. La
septième victime, un homme fut abattu non loin de là d’une balle, à la tête
d’un groupe de filles que les militaires ont dépouillées de leurs bracelets.
Les cantines du campement furent cassées et vidées par les Paras ; les
vêtements et les bijoux des femmes furent vendus à Kidal ».(9)
***
« Après que le
Lieutenant Cissé et les siens eurent commis leur forfait, exécution de 160
personnes à Ber, ils fouillèrent systématiquement toutes les maisons, toutes
les cases, tous les enclos pour récolter un honteux butin de bijoux de veuves,
l’héritage des orphelins, des sommes d’argent, des matelas, des postes
récepteurs et même des bagues et des montres. Ils fouillèrent les poches des
cadavres pour y soustraire des jetons.
…….
Il y a aussi le caporal
chef Kassonké, l’homme à tout faire du lieutenant Cissé dit Blo, l’oiseau de
mauvais augure qui orne sa chambre avec des oreilles de ses victimes séchées
dans du sel… »
……
Sidi Amar Ould Ely, 59
ans, Professeur de français, Directeur du CEDRAB (10), enlevé le 13 juin
1994, a été égorgé et abandonné derrière l’hôtel Azalaï.
…
Baba Koutam, âgé de 68
ans, commerçant, notable, domicilié à Sankoré a été enlevé chez Moulaye Ahmed
Baber, cadi de Tombouctou à 16 heures 30 minutes. Ses jambes ont été brisées par
ses bourreaux, il a été égorgé, son corps est jeté sur la route de l’aéroport.
Il avait son billet d’avion avec lui.
Alphadi Sidi Mohamed Ould Cheick, commerçant, âgé de 48 ans, a été
torturé, devant sa mère, vers 17 heures, il a été égorgé et le corps jeté sur
la route de l’aéroport » (11)
etc.
Comment expliquer,
autrement, que des crimes aussi odieux (et encore, le mot est faible) aient été
relatés dans des journaux qui, si restreinte que soit leur diffusion, sont
censés être lus par toutes les chancelleries et organisations internationales
présentes au Mali ? Comment
comprendre, autrement, que les juridictions maliennes et internationales
n’aient interpellé ni les présumés coupables ni leurs accusateurs?
Et voilà, pourquoi
l’Azawad, naguère prospère, fraternel et plein de vie, se vida de sa substance
et, pour finir, de ses habitants. Les chacals même s’en allèrent devant plus
chacals qu’eux. On peut être un chacal sans être un charognard.
Modibo Keïta commença,
il est vrai, mais les autres, tous les autres – Moussa Traoré, Alpha Oumar
Konaré, Amadou Toumani Touré – continuèrent, assurés de l’impunité. Ils
renchérirent sur lui (si tant est que cela soit possible). Sous Moussa Traoré,
les militaires maliens écrasèrent à Gao, sous un tank et publiquement, au dire
des fronts, un homme vivant. Amnesty
International dit, quant à elle, que ce sont des cadavres de plus d’une dizaine de personnes exécutées
sans jugement qui ont été écrasés par le
tank. Ce qui ne change rien à la monstruosité du crime. Sous Amadou Toumani
Touré, c’est un blindé que le bataillon de Tombouctou envoya bombarder la
maison (en banco et ouverte, comme le sont, de jour, toutes les maisons de
Tombouctou) de feu Mohamedoune Ag Hamani, (12),
le tuant et, avec lui, tous les membres de sa famille présents dans la maison.
Sous Alpha Oumar Konaré… ; mais à quoi bon ? Les arabes
disent : « Haddith wa lâ haraj ! » : « Raconte,
tu ne saurais épuiser le sujet !»
Il faut tout de même
que je dise un mot de Gandakoye (une création des deux derniers présidents) et
de la formidable campagne de rejet et de haine raciale orchestrée, nourrie et
entretenue par les mêmes et leurs classes politiques à l’endroit des
populations nomades.
Gandakoye ?
Qu’est-ce que c’est que Gandakoye ? Qui te dira ce qu’est Gandakoye ? Tellement complexe
et ardu que je préfère vous laisser découvrir cela à travers les documents
authentiques. Les maures disent : « la parole, de la bouche de son
auteur, a plus de saveur ».
Ce livre, je me
proposais, au départ, de le faire paraître sous le titre : « No
comment ». Sans commentaires donc et sans introduction. Il me semblait se
suffire à lui-même, tant les documents qu’il contient sont parlants, insolites,
fous…fous et, comme disait la fameuse émission,… incroyables mais vrais. J’ai
renoncé à mon projet premier parce qu’il m’était impossible de publier tout ce
que j’avais en ma possession et qu’il me fallait faire un tri. D’où la
nécessité de donner à tout cela une charpente, un squelette qui permît à chaque
pièce, de cette hors du temps et ahurissante tragédie de l’Azawad, de trouver
son ancrage. D’où la nécessité d’apporter l’éclairage nécessaire à la
compréhension du cheminement, du déroulement historique des actes de cette tragédie
et de leurs prolongements actuels.
J’ai - pour prendre un
exemple - parlé avec abondance de Modibo Keïta dans cette introduction. C’est
que les documents présentés n’en parlent pas, à mon sens, suffisamment. Depuis
sa mort en détention dans des conditions que certains n’hésitent pas à
qualifier d’assassinat, les maliens, du moins ceux du Sud, semblent avoir
oublié qu’il a été un dictateur de la pire espèce. Il y a même, ces derniers
temps, une sorte de « Modibomania » et certains partis politiques maliens n’ont pas peur de
se réclamer ouvertement de lui et de son parti l’USRDA. Pour expliquer cette
« Modibomania », voici ce que m’a dit, au cours de mon bref séjour,
un malien (du Nord cette fois-ci), faisant un parallèle entre Modibo Keïta et
son tombeur Moussa Traoré. Les paroles sont de mon interlocuteur, je lui en
laisse toute la responsabilité : « Modibo, tout génocidaire qu’il
fût, faisait rêver. Il avait la prestance. Il avait le verbe. Il représentait
le Mali avec panache. Moussa Traoré est un avatar, c’est-à-dire une copie
dégénérée de président ». Je lui rétorquai, qu’à mon entendement, un
dictateur et un dictateur, c’est kif kif.
Et la rébellion ?
Parlons-en de la rébellion ou plutôt des rébellions.
Voici ce qu’en dit
Mohamed Yehdih Ould Breideleil, un politologue mauritanien dans un article on
line (13)
publié le 13/08/2012 :
« Les causes
immédiates de la rébellion des années
1960 étaient que, à la place des militaires français, intelligents et adroits,
l’Azawad ait été occupé par les militaires maliens, se comportant en pays
conquis, dans toutes les sphères de la vie des gens, privée et publique,
pouvant aller jusqu’à dépouiller les habitants de leurs derniers biens
matériels. C’est un colonialisme sous-développé, déguenillé, qui n’a rien à
offrir, en contrepartie de sa domination, que la brutalité et la
misère ».
C’est peut-être là l’une
des multiples causes des rébellions des années 90 et 2000 mais non de la toute
première rébellion, celle des années 60 que l’incontournable Modibo Keïta
voulut à tout prix écraser. Celle-là fut une création ex nihilo des autorités
maliennes. Les documents publiés par les
journaux maliens sont formels. Lisez Ambéïry Ag Rhissa :
« En juin 1963, un
agent de sécurité malien par son arrogance et sa cruauté, a déclenché un
incident néfaste puisant ses racines dans l’époque coloniale. Dans une scène de pure
provocation, il a dit à un jeune Tamachek du nom de Elladji Ag Alla :
« Tu ne mérites que le sort réservé par les Français à ton père ».
Or, le père d‘Elladji,
Alla Ag Albacher, hostile à l’administration coloniale depuis 1929, a été
abattu en 1954, avec son fils aîné Mohammed Ag Alla.
Trois jours après son
enterrement, les Français le déterrèrent
et coupèrent sa tête qu’ils exhibèrent en macabre trophée dans toute la
zone de Bouressa.
Un tel rappel, que rien
ne justifiait, acheva d’exacerber le jeune homme déjà traumatisé par les
inimitiés étonnamment manifestées par le premier chef d’arrondissement de
Bouressa à son égard. Il décida alors de s’en prendre à tous ceux qui ont aidé
l’armée française à localiser et à abattre son père ; c’étaient tous des
membres de sa communauté. C’est ainsi qu’après avoir désarmé l’agent de
sécurité provocateur et son compagnon, Elladji abattit peu après l’un des principaux
guides dont s’étaient servis les patrouilles françaises à la recherche d’Alla.
Ce fut la première balle de ce qu’on a appelé la rébellion de Kidal, la balle
fatidique, une balle [de trop pour] avoir été tirée contre les autorités
maliennes, une balle de simple règlement de comptes « internes ».
Bien qu’elle ait été
suivie peu après de la restitution des armes sur intervention de Monsieur Intalla Ag Attaher, des patrouilles
de gendarmerie sillonnèrent le cercle de Kidal en terrorisant les campements
des Touareg, notamment en déshabillant des hommes devant leurs familles, et en
leur imposant de regarder fixement le soleil, menottes aux poignets.
L’étonnement, l’inquiétude et la panique s’emparèrent de la population. Deux
mois après ce fut la militarisation de la zone ».
(14)
El l’engrenage
inévitable.
Les rébellions se
succédèrent. Toujours contenues. Avec l’aide des pays voisins : l’Algérie
souvent ; la Mauritanie parfois ou la Libye. Jamais éteintes parce que le
Mali ne voulant, en fait, rien céder ne
céda rien. Parce que le Mali courrait et court toujours derrière un seul
objectif : une capitulation totale et inconditionnelle des Touareg, une
acceptation servile de leur état de parias sans droits.
Dans les Echos (15),
Saâd Lounès écrit :
« Depuis les
indépendances, on constate une sédentarisation forcée des Touaregs en Algérie
et Libye, une marginalisation au Niger et une discrimination au Mali avec une
seule alternative : l’exil ou les armes ».
Là réside toute la
spécificité du cas malien. Seul le Mali discrimine ou chasse ou supprime ses
Touareg ostensiblement. Au grand jour.
La lettre ouverte du
Front Islamique Arabe de l’Azawad (FIAA) aux Chefs d’Etat et de Gouvernement
réunis au Palais de Chaillot à Paris du 19 au 21 Novembre 1991 précise :
« Les Arabes et
les Touareg – que nous sommes – étaient exclus de toutes les sphères du pouvoir : Forces Armées ; Forces
de sécurité ; Magistrature, etc.
Un décret de Modibo
Keïta – toujours en vigueur – nous interdisait expressément l’accès à l’Ecole
interarmes de Kati »
Comme on aurait aimé
que les Touareg maliens fussent « marginalisés » comme le furent
leurs homologues nigériens ! Bien de choses auraient changé de cours.
Je ne prétends pas et
les documents que je détiens ne disent pas
que le Niger était un paradis pour les Touareg. Ou qu’il le soit devenu
de nos jours. Je dis qu’au Niger, les grandes chefferies traditionnelles touarègues
étaient respectées (16) ; qu’elles étaient, par le passé, souvent
dotées de véhicules de service et de gardes ou goumiers en armes ; que le
Gouvernement créa, sans pression aucune,
des écoles pour scolariser les nomades et même un collège arabe à Saye, près de
Niamey, avec, en fin de scolarité, des bourses pour poursuivre les études
supérieures en Libye ou en Egypte. Sans compter la nomination d’un des tout
premiers Premiers Ministres africains en la personne du Targui Hamid El Ghabid.
Je dis et les documents
disent que le Mali, sous la présidence de Modibo Keïta, refusa l’aide qu’il
avait, au préalable acceptée, du royaume chérifien de construire, pour le Lycée
Franco-Arabe de Tombouctou (qui n’avait d’ailleurs d’arabe que le nom) un
complexe dernier cri pouvant être, par la suite, érigé (sans transformation
aucune) en Etablissement d’enseignement supérieur. Avec un financement d’un
milliard cinq cents millions de francs maliens. La mairie de Tombouctou, dont
le maire, à l’époque, était Mahamane Alassane Haïdara, Président de l’Assemblée
Nationale du Mali, avait fait don d’un site à la sortie sud de la ville, sur
l’axe bitumé qui mène à l’aéroport. Les équipes marocaines firent plusieurs
visites au site, visites au terme
desquelles, les plans du complexe furent définitivement arrêtés. C’est alors
que le refus de Bamako vint. Un refus sournois qui ne disait pas son nom. Ce ne fut pas un niet brutal, à la russe, ce
fut : « Ce complexe est disproportionné, il est trop grand pour
Tombouctou, construisez-le à Ségou ». Ce que le Royaume chérifien refusa.
De la même manière, à
la même époque et sous le même président, fut bloqué un projet saoudien de
construction d’un Centre de hautes études islamiques à Tombouctou et dont l’enveloppe était du même ordre que le projet
chérifien.
Les gouvernements
maliens successifs voulaient, en réalité, un Mali sans Touareg. Heureusement
que les Américains abandonnèrent leurs recherches sur la bombe à
neutrons ; autrement, on ne sait jamais en quelles mains elle peut se
retrouver un jour. Or, avec un ou deux engins de ce type, on fait place nette
en Azawad. Plus de chameaux, plus de Touareg, plus de vie, plus rien sauf les
immenses richesses enfuies dans le sous-sol et qu’on pourra exploiter en toute
quiétude.
Pensez donc :
« La Mer de
Savornin accessible (50 milliards de m3 d’eau douce) et le Bassin de Kattara (3
milliards de m3). Or dès qu’il y a de l’eau, tout devient possible au Sahara.
On exploitera à tout-va. Rien que dans la région nord de Tombouctou :
-
du gypse : 3 millions de tonnes
-
de la mirabilite : 198 millions de tonnes
-
de la glaubérite : 366 millions de tonnes
-
du charbon : 435 millions de tonnes
-
du fer : 500 millions de tonnes
-
du manganèse : 3,5 millions de tonnes
-
des phosphates : 2 millions de tonnes
-
du sel gemme : 53 millions de tonnes
-
du diamant ; du platine ; du cuivre ; du nickel ; de
l’or ; du lithium ; de l’uranium ; du zinc ; de l’étain ;
du plomb ; du pétrole », etc.(17)
Et encore ce n’est là
que des prévisions d’un autre âge, faites par les services français dans les
années cinquante avec des moyens de détection quasi myopes qui ne voient que ce
qui saute aux yeux.
Pensez donc : le
Mali, le prochain eldorado ! Mais que faire de ces Touareg, empêcheurs
d’exploiter en rond ?
On peut espérer qu’avec
l’âge (52 ans) et un peu plus de plomb dans la tête, les autorités maliennes,
tirant les leçons des derniers rebondissements, voudront pour la première fois négocier pour «
de vrai » comme disent les enfants (qui sont, souvent, plus sages que nous) et respecter leur engagement,
une fois qu’elles y auront souscrit.
On peut espérer que ces
autorités condescendront à considérer enfin les Touareg comme des citoyens à
part entière et non comme des apatrides.
Les Touareg n’ont
jamais réclamé que l’autonomie(18) et se
suffiraient, encore aujourd’hui, d’une autonomie, mais qui en soit une.
Qui n’a pas entendu
parler de la lutte trois fois décennale des Casamançais pour leur
indépendance ?
L’Azawad pourtant est
d’une autre dimension que la Casamance. L’Azawad, c'est 70% de l’immense Mali, quand la Casamance ne fait
que moins de 15% de l’exigu Sénégal. Ce qui n’empêche pas Salif Sadio,
commandant en chef des MFDC (19) de parler sur
RFI le 3 juillet 2012 de « Casamance libre, souveraine et en
paix » ; et d’ajouter : « L’indépendance
nationale est un droit absolu, inaliénable, imprescriptible et non
négociable ».
Le Sénégal,
envoie-t-il, pour autant ses « chiens de guerre », mater les Salif
Sadio et Cie ? Bien sûr que non. Le Sénégal, c’est une autre civilisation.
Ou bien, faut-il penser que la chance des Casamançais c’est de ne pas être
étiquetés comme « blancs » dans une Afrique au sud du Sahara
allergique au Blanc ?
Je ne ferai pas
l’injure au pays de la « teranga »(20)
de faire semblant de croire que c’est surtout parce que Rome veille.
Quoi qu’il en soit,
nous verrons avec quel flegme et quelle retenue, les gouvernements sénégalais,
de Senghor à Abdoulaye Wade,
s’attaquèrent-ils à ce problème délicat entre tous et comment ils traitèrent
ces casamançais (presque seuls chrétiens dans une mer d’Islam) et indépendantistes invétérés. Ils en
firent : des « parents » qu’il convient de ménager.
Ces extraits du numéro
2642 de JA (21)
traitant de la Casamance sont édifiants :
« Ce conflit qui,
depuis trois décennies, épuise le sud du Sénégal…
On a entendu les
premiers coups de feu autour de 7h 15 », se souvient Assane Sindi, le
premier adjoint au maire. Au retour de leur patrouille nocturne, les soldats se
sont fait pilonner. Au Kalach, mais aussi à l’arme lourde. Selon les villageois,
trois roquettes ont été tirées en direction de la garnison. La fusillade a duré
plus d’une heure…
À six mois du scrutin présidentiel, Wade vient … de
changer de stratégie. Alors qu’il avait écarté la Gambie et la Guinée-Bissau
des négociations, il leur fait désormais des appels du pied. Lors d’une visite
à Banjul, le 16 Août, il a demandé à son homologue gambien, Yayah Jammeh,
« d’intervenir pour la paix en Casamance ».
Car la rébellion a
repris du poil de la bête. Ces deux dernières années, les violences se sont
multipliées. Entre Octobre 2010 et mars 2011, une vingtaine de soldats
sénégalais ont péri sous les balles et les obus des miliciens. On ne compte
plus les braquages sur les routes et les pillages dans les villages. Selon les
observateurs, les branches militaires du MFDC ont acquis de nouvelles armes. Le
groupe de Salif Sadio, sur le front nord, à la frontière gambienne, est
particulièrement bien équipé…
« Il y a un vrai
risque de voir la rébellion se transformer en mouvement criminel », estime
M. [Nouha] Cissé. La région, rappelle-t-il, est gangrenée par le trafic de
drogue. Et la Guinée Bissau voisine est considérée comme le premier narco-Etat
du continent »…
Tous les ingrédients
sont réunis jusques et y compris le massacre au mortier de soldats
réguliers, « les braquages sur les routes », le crime et la drogue.
Et, nonobstant cela, les pouvoirs sénégalais de toute obédience et de toute
tendance gardent leur raison et ne font pas la chasse aux casamançais résidant
dans les autres régions du Sénégal ni n’épurent l’armée et l’Administration de
ces « traitres ». Nonobstant cet irrédentisme impénitent, l’Abbé
Diamancoune, le père spirituel, proclamé et assumé, des indépendantistes
casamançais a pu garder sa charge, durant plus de vingt ans et jusqu’à sa mort
naturelle ; écouté, souvent consulté et respecté. Comme on est loin, très
loin du Mali ! Et comme quelques uns – même s’ils ne sont pas des millions
– doivent-ils avoir « mal à leur Mali » ! Et moi, né en Azawad sous colonisation,
voyant ce que le Soudan Français est
devenu sous des régimes incompétents, irresponsables et criminels, comme j’ai
« mal à mon Soudan ».
L’article de Jeune
Afrique continue. Il rapporte les propos du Gouverneur Cheikh Tidiane
Dieng. Ecoutons-le :
« Ce n’est pas une
guerre traditionnelle. Ici, c’est la famille » explique le
gouverneur. C’est sa deuxième
affectation en Casamance.
M. Dieng reconnaît…
que, régulièrement, les forces de l’ordre arrêtent des chefs rebelles, mais il
est de coutume de les libérer aussitôt…
Ne pas froisser
l’ennemi : voilà la règle, puisqu’aucun des deux camps n’est en mesure de
l’emporter ».
On croit rêver.
Je disais que les
Touareg ne réclament qu’une autonomie, mais qui ne soit pas
« bidon » (c’est un terme que les politiciens maliens n’auront
aucun mal à appréhender, il fait partie de leur vocabulaire quotidien) et non
octroyée comme une charité que l’on fait à un mendiant. Autant, pour Salif
Sadio et ses amis, l’indépendance est « un droit imprescriptible et non
négociable » autant, pour les Touareg maliens, l’autonomie est « un
droit imprescriptible et non négociable ».
Le séparatisme des
nomades maliens ? Un faux problème. Beaucoup de documents publiés ici et
qu’on lira l’attestent. Edgar Pisani, un certain temps médiateur, ne dit pas
autre chose :
« Ce que je peux
dire, quant à moi, ayant rencontré beaucoup de ceux qui sont en rébellion, je
n’ai pas rencontré physiquement un rebelle qui ait revendiqué à sortir du Mali
ou qui se soit dit non malien. J’ai entendu un cri : « Ce n’est
pas nous qui ne voulons pas du Mali, c’est le Mali qui ne veut pas de
nous ».(22)
Mais ne nous méprenons
pas. Si les autorités continuent de vouloir coûte que coûte bouter hors du Mali
les Touareg, oui, il y aura des têtes brûlées qui, un jour ou l’autre, se
tailleront à coups de sabre s’il le faut, un Azawad aux dimensions de leurs
appétits et de leur rêve d'avoir leur
territoire à eux tous seuls. Quitte à porter la guerre jusqu’aux portes de
Bamako et même au-delà, sans se soucier
ni de frontières qui, de toutes façons ne les ont pas pris en compte, ni de la
CEDEAO qui, à leurs yeux n’est après tout, qu’une coterie de chefs noirs exterminateurs et supplétifs
d’exterminateurs de nomades, pourvu qu’ils fussent, ces nomades, de peau
blanche et sans défense.
Il est urgent donc pour
tout le monde que les parties en conflit se mettent autour d’une table et que
leurs négociations aboutissent, non pas à un Pacte (qui ne signifie que
« paix », étymologiquement) mais à un accord dont les clauses
rendent impossible la guerre, c’est-à-dire qu’elles aménagent le territoire et
le pouvoir, les différents pouvoirs de telle sorte que la guerre soit définitivement
mise hors jeu. Les Pactes, il y en eut
beaucoup de signés au cours des vingt dernières années sans que le moindre iota
fût changé. Parce que qui dit « pacte », donc « paix », dit
aussi la guerre virtuellement possible.
La CEDEAO, la
Communauté Internationale (l’Algérie, la Mauritanie et la France, en tête)
doivent peser de leur poids, tout leur poids sur le Mali pour que cesse
définitivement sa politique de faux-fuyants. Durant deux décennies de
négociations, les autorités de Bamako ont, pour ne pas appliquer les accords
signés solennellement, fait feu de tout bois. La classe politique et les média
furent mis en branle, le brasier Gandakoye s’alluma. La mauvaise foi, la
déloyauté, la duplicité, tout l’éventail du machiavélisme foncier des gouvernements
successifs trouva carrière. Les Fronts de l’Azawad se retrouvèrent devant un
véritable rocher de Sisyphe qui, une fois remonté au sommet de la montagne,
retombait et qu’il fallait encore et encore remonter sans espoir, jamais, d’en
finir. Les douze travaux d’Hercule, semblaient, en regard, une occupation de
dilettante.
Il faut faire en sorte
que tout cela cesse, dans l’intérêt supérieur du Mali. Un accord, c’est sacré.
Une fois signé librement, il doit être appliqué.
Je vais étonner plus
d’un en disant que le coup d’Etat du Capitaine Sanogo et de ses hommes est une
bénédiction. Un arrêt du destin. Une chance qui ne se renouvellera peut-être
pas, et qu’il faut savoir saisir.
En faisant place nette,
en débarrassant le Mali d’Amadou Toumani Touré et de ce qu’il charrie avec lui
de l’héritage d’Alpha Oumar Konaré, ils ont, ce capitaine et ses sans-grade,
rendu à leur pays, sans le savoir et peut-être sans le vouloir, le plus fier
des services. Ils lui permettent de repartir du bon pied.
Moussa Traoré avait
compris, sur le tard il est vrai, qu’aucune force au monde ne pouvait avoir raison
de la « rébellion » touarègue et que, partant, il fallait signer la
paix des braves, une paix sans vainqueur ni vaincu. Une paix, comme l’on dit
dans un monde de plus en plus mercantile, gagnant-gagnant. Il voulait, il
voulut, à tout prix appliquer à la lettre le Pacte conclu avec les différents
fronts sous l’égide de l’Algérie. Pour arrêter l’effusion de sang, réconcilier
les maliens et peut-être entrer dans l’histoire.
On l’en empêcha. Des
puissances étrangères qui ne voulaient aucun
bien au Mali armèrent le bras d’un « mercenaire » :
Amadou Toumani Touré. Qui passa le témoin à Konaré pour le reprendre, de
celui-ci, dix ans après. On connaît le reste. L’inflation de superlatifs dont
les deux « héros » furent - c’est le cas de le dire - affublés. Un journaliste, que personne ne
peut soupçonner d’accointance avec ce genre d’hommes, qualifia Amadou Toumani
Touré, s’apprêtant à recevoir les Chefs d’Etat de la France-Afrique en Décembre
2005, de « démocrate » et « d’officier et gentleman ». Cela
donne la mesure de la campagne promotionnelle gratuite dont ces deux-là
bénéficièrent. Ils pouvaient se pavaner partout de par le grand monde, pleins
de matoiserie et de rouerie avec leur air paterne et leurs paroles doucereuses
et tout miel qui faisaient s’esclaffer sur leur passage leurs hôtes. Et c’est
ainsi qu’on vous boucle, en beauté, un quadruple mandat de cinq ans. Au grand
bonheur des membres du G5.
Mais, dans tout cela,
le Mali, qu’a-t-il gagné ? On nous a dit qu’il était devenu un modèle de
démocratie et de liberté et que sa croissance « flirtait » (c’est leur
terme) avec les 7%. Ce n’est pas encore la Chine, mais c’est déjà un
« tigre » en devenir. Moi, qui suis revenu, soixante après, voir ce
qu’il était advenu de « mon » Soudan natal, j’ai trouvé
« leur » Mali, tout développé qu’il fût, par terre.
Il ne servira à rien,
aujourd’hui, ni au Mali ni aux maliens de perdre leur temps à rechercher les
causes de leurs malheurs actuels. Les historiens et les sociologues du futur
s’en chargeront. Les livres-témoignages déjà parus éclairent certains pans de
cette descente aux enfers. Mon livre, à
moi, éclaire a giorno – je l’ai voulu ainsi, aveuglant, parfois agressif – d’autres
pans de cette même descente aux enfers qui,
cette fois-ci, voulue, planifiée, programmée pour ne toucher que les
Azawadiens seuls a, finalement, emporté tout dans son irrésistible élan,
faisant sombrer dans les tréfonds de la géhenne le Mali, corps et biens.
Au risque de fâcher
beaucoup de monde et ces messieurs de la CEDEAO, je clame à haute voix que le
Capitaine Sanogo a bien mérité de son pays. Il doit, non seulement garder son
titre d’ancien Chef d’Etat, mais il est juste et équitable qu’il soit décoré de
la plus haute distinction que le Mali offre à ses fils les plus valeureux.
Il est de bon ton de
dire que c’est grâce à lui que les MNLA et autres ANSAR EDDINE ont occupé
l’Azawad, tout l’Azawad. Toutes les chancelleries du monde et tous ceux dotés
d’yeux pour voir savent que les rebelles actuels pouvaient aller d’une traite
jusqu’à Bamako et jusqu’au palais de Koulouba pour y siroter leur trois minuscules verres de
thé. Et que les rébellions précédentes, sans l’Algérie et la Libye pourtant décriées,
l’auraient tout autant fait. Les documents le prouvent.
Sanogo peut se sentir
fier d’avoir, par un coup de maître, mis fin à la mascarade. Il a joué
pleinement (ses amis pourront dire, crânement) son rôle historique. Il a chassé de son pays une bande de crapules. En
d’autres temps, on disait « vendus ». Mais il faut qu’il ait la
sagesse de remettre le pouvoir aux civils. Sans calcul et sans arrière-pensées.
Nous sommes, majoritairement, musulmans autour de ce grand Sahara qui devrait,
par sa démesure même, nous inciter à nous regrouper et à nous entraider. Il
nous fait, à chaque instant, la démonstration à contrario de notre petitesse et
de notre insignifiance. La sagesse devrait être notre souverain bien. Le Coran
dit : « Il fait don de la sagesse à qui Il veut. C’est être nanti
d’un grand bien que d’avoir reçu la sagesse ». Le « Capitaine » doit savoir partir
en beauté et tous ses compatriotes doivent l’y aider et surtout faire en sorte
que, ni lui ni les siens, ne soient dans le besoin.
La classe politique
malienne, après lui, continuera de faire le ménage. Des prédateurs comme
Soumeylou Boubèye Maïga, l’âme damnée et le bras droit de Toumani Touré et
d’Alpha Oumar Konaré qui a squatté la sécurité malienne et l’a gangrenée avec
ses « virulents songhaïs » comme les appelle Saâd Lounès dans Les
Echos, doivent, les premiers, « vider » les lieux.
Comme si l’Azawad n’était pas militarisé à refus, Soumeylou
Boubèye, devenu Ministre des Affaires Etrangères (après qu’il fut dans les
Années 90, Directeur Général de la Sécurité de l’Etat, puis Ministre de la
Défense et des Forces Armées), voulait encore, en 2011, vendre aux délégations
européennes qu’il traînait après lui à Ber (région de Tombouctou), l’idée de la
création de « onze nouveaux pôles « sécurisés » de
développement »(23). Des vampires comme
lui, doivent s’en aller en attendant qu’ils rendent compte du mal qu’ils ont
fait en montant sciemment une partie du Mali contre l’autre.
Il y a belle lurette
que les services de sécurité, au Mali, sont pourris. Et pas seulement eux,
malheureusement! Il faudra, avec
intempérance et sans modération,
épurer. Et parfois, et souvent, passer un magistral coup de balai. Le
ménage doit être fait, à grande eau pour une fois que les maliens en ont
l’occasion. Une occasion qui risque de ne pas se renouveler de sitôt.
Il est tout aussi
urgent, peut-être primordial, que cesse l’agenouillement généralisé de la classe
politique malienne devant de fieffées canailles.
La démonstration est
faite que le tout sécuritaire et répressif n’est pas la solution au problème de
l’Azawad. La démonstration est faite
que, même laissée pour agonisante ou morte, la rébellion des Touareg renaît
toujours. Non pas de ses cendres, mais du sang de ses martyrs et d’une terre
bénie qui n’a jamais été avare de héros.
Les maliens savent
désormais, documents à l’appui, que cette prétendue rébellion fut créée de
toutes pièces par un Modibo Keïta hystérique et par son administration ;
qu’elle a été nourrie de leurs exactions qui furent pour elle un combustible
quotidiennement disponible et qu’elle a été entretenue depuis par des régimes
irresponsables et, quelques fois, vendus.
Les
« rebelles », plus sages que ceux que l’histoire retiendra comme les
fossoyeurs du Mali et non pas de son unité seulement, les
« rebelles », malgré les malheurs qui leur sont tombés sur la tête et
l’animadversion à laquelle ils ont été voués, n’ont jamais réclamé qu’une
autonomie qui les mît à l’abri de ces
exactions. Nul ne peut et ne doit leur tenir rigueur d’avoir opposé la
force à la force.
Le capitaine Sanogo et
les siens ont fait le plus difficile. Faire place nette.
Il ne faudrait pas que
les maliens, une fois Sanogo parti, avec les « honneurs » qui siéent
à la situation, se laissent submerger par la contingence. Rien n’est perdu. Tout au contraire. Leur
destin est, plus que jamais, entre leurs mains.
Leur unité n’est pas
menacée. En tout cas, pas par ceux qu’on a coutume de désigner du doigt. Elle
ne sera menacée que s’ils laissent, dans leurs rangs, des brebis galeuses.
Du Sud
« utile » comme du Nord « inutile », tous d’un même pays
qui peut, par leur volonté commune, devenir une même nation, les maliens
doivent avoir en point de mire la « grandeur » de ce pays et sa
« place » qui doit être centrale, aux jonctions des deux « Afrique »,
la noire et la blanche. Cela a toujours été le destin de leur pays ; il
doit le rester.
Mais, pour ce faire, il
est important de bien choisir la première pierre qu’on posera dans les
nouvelles fondations. Il la faut d’un matériau noble, insensible à la corrosion
du temps, inaltérable et solide. L’histoire jugera.
***
Pour conclure cette
introduction qui se veut un électrochoc et qui prend sur soi de dire les
vérités que beaucoup veulent taire, j’aimerais déposer dans votre tête et
confier à votre intellect, je parle des maliens, ces mots de l’inoubliable Mano
Dayak (24),
le « fou » du Ténéré, qui a
écrit ses meilleurs textes et réalisé ses meilleurs documentaires sur ce désert
ensorcelant et dans lequel il mourut. Victime d’un accident d’avion plus que
suspect, peu après son décollage de Niamey alors qu’il revenait, quelques
semaines auparavant, d’une longue tournée africaine, en forme de boucle, qui le
mena de Ouagadougou à Yamoussoukro, chez le sage Houphouët-Boigny, en passant
par Bamako, Nouakchott et Dakar, en quête de conseils et de bonnes volontés
pouvant aider à la réconciliation des Nigériens.
Le mot, d’une
sensibilité d’écorché, le voici :
Il
faut avoir vécu la lente méditation
Que
rythme le pas muet et somnolent d’un dromadaire
À
travers la mort blanche des sables
Pour
comprendre vraiment ce qui sera arraché à l’homme
Avec
la disparition du dernier nomade.
NOTES :
(1) Le Républicain N° 3082 du 16 Avril
2010
(2)
Rassemblement Démocratique Africain.
(3)
Le Monde du 6 février 1974.
(4)
20 mai 1991.
(5)
Rapport du Cercle d’Agadèz, septembre 1916, cité par Olivier de Sardan,
1984 :156, in rébellion touarègue et question saharienne au Niger ;
repris par Saâd Lounès in Les Touaregs
veulent des Etats fédéraux au Mali et au Niger ; article paru dans le
journal malien « Les Echos » N° 3701 du 5 juillet 2011.
(6)
Bien que les documents publiés dans la presse et par les éditeurs maliens
soient presque complets et suffisants par eux-mêmes, il est évident que j’ai
aussi eu recours à la diaspora malienne (principalement touarègue) pour écrire
certains chapitres de ce livre.
(7)
Les Echos N°3701 du 5 Juillet 2011
(8)
La partie sud-ouest l’était déjà et pouvait très bien approvisionner le reste
de l’Azawad pourvu que soit formée ou fournie une main-d’œuvre agricole
qualifiée additionnelle et un encadrement adéquat ; toutes choses qui sont
du ressort du pouvoir central.
(9)
Cauris-Hebdo N° 16 Page 5.
(10)
CEDRAB : Centre d’Etudes, de Documentation et de Recherches Ahmed Baba (de
Tombouctou)
(11) L’Union N° 43 du 19 juillet 1994.
(12) Ancien très haut responsable de l’Etat,
célèbre pour sa défense intransigeante de l’intégrité du Mali et pour s’être désolidarisé de ses parents nomades,
Mohamedoune Ag Hamani refusait la légitimation du recours à la force pour
régler des problèmes politiques.
(14)
Cauri-Hebdo N° 16 Page 4
(15)
Les Echos N° 3701 du 5 juillet 2011
(16)
Le sultan d’Agadès était et est encore une personnalité de tout premier plan au
Niger.
(17)
Réveil N° 04 Page 7
(18)Le
Général Kafougouna Koné, Ministre de l’Administration Territoriale et des
Collectivités Locales « a indiqué qu’à l’issue de sa rencontre avec les
insurgés, il a pu comprendre qu’ils avaient quatre préoccupations :
l’autonomie […] ou aller vers un fédéralisme [...] » Le Républicain N° 2191 du 14 juillet 2006.
(19)
MFDC (Mouvements des Fronts Démocratiques de Casamance)
(20)
« Teranga »: hospitalité et savoir vivre
(21)
Jeune Afrique N° 2642 du 28 août au 3 septembre 2011 (Extraits pp 34-37)
(22)
Les Echos N° 120 du 8/11/1991.
(23)
Option-Hebdo N° 051 du 31 mai 2011
(24)
Un des chefs de la rébellion touarègue du Niger qui a surtout œuvré pour une
autonomie au sein d’un Niger un et indivisible. Les extraits sont tirés
de « Paroles de Touaregs » de Maguy Vautier, Albin Michel
Jeunesse, Paris, 1997.
SUR
LA PLUS HAUTE MARCHE
Le
Mali, pour une fois, N° 1
« Lorsque
la ceinture de la colonisation s’est refermée, il y eut encore d’autres
ceintures étroites, ces terribles frontières qui ignorèrent la société,
l’histoire et les sentiments des hommes. Un [beau] jour, on apprit qu’il était
interdit de nomadiser et de voyager au-delà de certaines lignes, qu’il faut
cesser tout contact, toute relation, tout commerce avec les frères, les parents
de l’autre côté. C’est la prison… à perpétuité.
C’est
tout le sens de l’orientation qui change, un amendement [ap]porté aux points
cardinaux… L’Ouest n’est plus l’Ouest, l’Est n’est plus l’Est. Ils prirent
d’autres noms bizarres et à peine prononçables : les noms artificiels
forgés pour désigner les nouvelles colonies ».
(1)
Ould Breideleil brosse
en peu de mots et en images saisissantes : « l’Ouest n’est plus l’Ouest, l’Est n’est plus l’Est » le
tragique de la situation que vécurent les nomades de ce grand désert et que
ressentirent, plus que tout autre groupe, les Touareg. Vivre en perpétuel
étouffement dans un espace « mesuré » eux, dont le territoire était,
naguère, sans limites ; ne plus pouvoir aller à la recherche de l’eau du
ciel avec, comme seul guide, les « oreilles laineuses » (2)
de
son chameau ; cet enfermement, alors qu’ils n’eurent jamais d’autre boussole que les
étoiles et ne connurent, à leurs pérégrinations, de frein que les caprices de
la météo, parut à ces farouches sahariens, comme le comble du malheur.
Ils vivront (mais
n’anticipons pas) après les « indépendances » des malheurs
incommensurablement plus grands. Ces « indépendances » auxquelles,
pourtant, leurs chefs contribuèrent, de
manière plus efficiente que toute autre personne, par leur refus collectif du
projet OCRS (3). Les documents publiés par les journaux maliens
ne laissent aucun doute sur ce point. (4)
Les colons français,
appréhendant qu’ils ne pourraient jamais appliquer à ces hommes du désert des
conditions aussi contraignantes que celles que présupposent ces frontières
étanches, « allégèrent » pour ainsi dire « au-delà du
possible ». Leur administration fut littéralement inexistante. Les Touareg
étaient exemptés du service militaire (5),
de tout travail forcé de quelque nature qu’il fût et des réquisitions.
Les colons partis,
vinrent les nouvelles autorités. Ce fut une autre colonisation, mais
« sous-développée » cette fois
et « déguenillée » comme la dépeint au vitriol Ould Breideleil.
Le Gouvernement malien crut avoir reçu de la communauté des nations un
blanc-seing l’autorisant à faire, à l’intérieur de la portion qui lui échut du
Sahara, tout ce que bon lui semblait. Modibo Keïta en vint même à délivrer, à
son tour, des blancs-seings à qui il voulut.
Ce fut le début de
l’enfer. D’autant que l’administration de l’Azawad, de tout l’Azawad et de
l’Azawad seul, se résuma très tôt en une seule structure : l’Armée.
Les Touareg furent
comptés, recomptés, insultés, humiliés, spoliés et au, premier petit soupçon
d’énervement de leur part, le ciel leur tomba sur la tête avec une soudaineté
de typhon et une barbarie droit sortie des cavernes. On assista à la vraie, à
l’authentique loi de la jungle. Un défoulement
de primitifs, d’une brutalité et d’une bestialité inouïes.
Pour exécuter un homme,
cet insecte d’une fragilité telle que l’indifférence, très souvent, le tue, les
sociétés d’antan préféraient le sabre. Avec l’évolution, on en vint à la
guillotine et au peloton d’exécution. Les Américains, toujours en avance,
inventèrent l’injection létale et la chambre à gaz. Ce qui les mettait loin en
avance, devant tous les autres. Sauf le Mali, injoignable.
Mais cela, il ne faut
pas le dire aux Yankees. Ils sont capables d’acheter, avec leurs dollars qui
n’ont besoin de garanties d’aucune sorte pour être mis sur le marché, tous les
cerveaux du monde pour faire plus diabolique encore. Et là, on risque de
changer de registre parce que, dans une telle compétition, le Mali, tout
pauvre, tout endetté, tout bon dernier du peloton mondial qu’il soit, peut nous
réserver des surprises : l’inhumanité et la diablerie, c’est son rayon.
***
Vous allez assister, en
plein jour, à une exécution extrajudiciaire comme il y en eut des centaines et
des centaines dans l’Adrar des Iforas au cours des années soixante, sous Diby
Silas Diarra, mais avec, cette fois, tout
le décorum. La victime est un chef religieux Kounta. Retenez qu’il est
aveugle de naissance, qu’il a largement dépassé la septantaine et qu’il n’est
même pas de la circonscription administrative (l’Adrar) pour laquelle le
capitaine Diby Silas Diarra avait reçu « carte blanche » du Président
Modibo Keïta. Il est de Bourem. Son crime est d’avoir - selon des soupçons
invérifiables - fabriqué des talismans pour les rebelles touareg de l’Adrar.
Les populations :
celle de Kidal et celles des campements et villages alentour furent, non pas
conviées, mais amenées manu militari. Rien ne se fera en catimini. Ce sera un
grand show. Pour ce presque octogénaire et aveugle
de naissance, il y aura un poteau d’exécution sur lequel il sera attaché
solidement pour l’empêcher de… fuir. La foule, petits et grands, sera
haranguée.
Comment se fera
l’exécution ? Je vous le donne en mille. Ici, point d’injection létale ou
de guillotine, c’est trop folklorique.
Le capitaine a sa
propre recette inédite. Ce n’est pas
pour rien que Modiko Keïta lui a donné « carte blanche » et droit de
vie et de mort sur tout l’Adrar (bêtes et gens) ; et que lui-même et son
bataillon sont régulièrement décorés, chaque 22 Septembre, sur la place de
l’indépendance à Bamako.
Il aura même, vous
allez voir, pour clore son show, un mot d’anthologie.
« L’événement eut lieu par une journée
ensoleillée. Il fit attacher le marabout à un poteau, face à une mitrailleuse
12,7 en batterie. Il s’adressa aux populations en ces
termes : « Vous avez devant vous l’homme qui prétend pouvoir
assurer à vos maris, vos fils et vos frères, une invulnérabilité. Beaucoup de
vos parents y ont cru et continuent d’y croire ce qui les incite à aller
aveuglement à la mort.
Aujourd’hui,
j’ai décidé de le mettre à l’épreuve c’est pourquoi je vous prends tous à
témoin. Je ne tricherai pas. Je l’autorise à porter tous ses gris-gris. S’il
s’en sort victorieux, je le ferai décorer et je serai même un de ses fervents
adeptes ».
Le
capitaine fit un signe au commandant de la pièce mitrailleuse, un ordre sec
partit « feu ! ». La mitrailleuse toussa trois fois
« Gogog ! Gogog ! Gogog ! » et secoua trois fois le
corps du marabout comme dans une danse macabre qui s’arrêta en même temps que
la musique de l’arme. Retenu au poteau, le menton sur la poitrine, il bascula
en avant sur la pointe des pieds.
À
l’adresse des spectateurs médusés, le « lion du désert » cria :
« Applaudissez ! » (6)
Après ce morceau de
bravoure, dites-moi honnêtement, qui de nos grands chefs, qui de nos grands
hommes irait disputer à l’immortel Diby Silas Diarra et à son Président Modibo
Keïta et aux maliens qui veulent réhabiliter l’un et ont déjà érigé un mémorial
à l’autre, leurs couronnes ?
Il est juste et équitable
de laisser au Mali l’honneur de gravir, pour une
fois,
seul
la plus haute marche du podium.
………………………
Notes:
(1) Mohamed Yehdih Ould
Breideleil: http://www.cridem.org
(2)
Mano Dayak in Paroles de Touaregs de Maguy Vautier, Albin Michel Jeunesse,
Paris, 1997
(3)
OCRS : Organisation Commune des Régions Sahariennes
(4)
Voir Rubrique consacrée à l’OCRS
(5)
L’exemption des Touareg du service militaire était en fait une mesure
politico-stratégique. Plusieurs administrateurs français de l’AOF (Afrique
Occidentale Française) avaient développé la thèse
suivante : « Les Touareg sont des populations peu « maniables »
et très difficilement « domesticables ». Si nous les scolarisons et
leur mettons des armes entre les mains, ils seront les premiers à se soulever
contre nous et à déstabiliser toutes nos colonies d’Afrique noire. Sans compter
qu’ils sont plus liés humainement et économiquement à leurs parents du Maghreb
qu’aux entités dans lesquelles nous les avons insérés. Pourvu qu’ils nous
laissent en paix, oublions-les. Tout le monde sera content. »
(6)
Colonel Assimi Souleymane Dembélé : Transferts définitifs, les Editions le
Figuier, Bamako, Mali, 2003
Note
additionnelle : Le journal Le Réveil N° 04 (1991) publie le texte de la
motion finale d’un congrès du parti US-RDA. Sous le sous-titre « Hommages
aux héros », on lit : « Le
Congrès s’est incliné pieusement devant la mémoire du camarade Modibo Keïta,
Secrétaire Général de notre Parti, des camarades […], du colonel Sékou Traoré, des capitaines Diby Silas Diarra, Alassane
Diarra, Bakary Camara, Tiékoura Sogodogo, du Lieutenant Jean Bolon Samaké, [...]
Tous ceux-là, auxquels
sont rendus en Août 1991 ces vibrants hommages, sont ceux qui ont mis à feu et
à sang l’Azawad et, tout particulièrement, l’Adrar des Iforas (région de
Kidal). Ils sont depuis les héros - non
seulement - de leur parti l’US-RDA mais aussi de tout le Mali « noir et
raciste ». À ne pas confondre avec tout le Mali « noir » qui
compte des milliers, peut-être des millions, de gens rassis, pondérés, sachant
raison garder (aussi bien musulmans que chrétiens) ; qui ne sont pas des
moutons de panurge, ne font pas dans l’amalgame et ne se laissent pas guider
par des réactions épidermiques ou par des haines d’un autre âge.
ENSEMBLE ON EST PLUS FORT
En guise de conclusion
Il faut bien mettre un
point final. Le sujet est tellement vaste et présente tellement de facettes,
qu’on aimerait, pour ne rien omettre d’essentiel, continuer encore, au risque
de grossir l’ouvrage de dizaines de pages supplémentaires et de le rendre
indigeste. Ce qui n’est pas le but recherché. Mais, nonobstant cet aspect
du problème, c’est autre chose qui nous a fait tomber la plume des mains :
c’est l’écœurement. De quelque côté que l’on prenne les rubriques de ce livre,
sous quel angle qu’on les envisage, on ne retrouve que la même chose : la
sauvagerie et l’inhumanité.
On voudrait qu’elles
nous parlent, ces rubriques, d’amitié, de fraternité, de perspectives d’avenir
partagées, d’ethnies réconciliées ;
de construction et de refondation nationales, de formation citoyenne ;
qu’elles nous parlent du malien nouveau. De son labeur. De ses rêves. On
voudrait qu’elles nous parlent d’un Mali uni dans sa diversité et fier de cette
diversité ; on voudrait qu’elles nous parlent d’héritages culturels,
d’arts, de patrimoines conservés, ravivés, magnifiés et offerts, non seulement
à tous les maliens sans exclusive, mais aussi au reste du monde.
On voudrait que ces
rubriques, nous parlent d’un pays qui fut grand de par son histoire, d’un pays
qui fut grand par ses empires qui ont toujours su brasser et unifier et faire
vivre harmonieusement les ethnies les plus diverses, d’un pays qui fut grand
par ses rois et ses empereurs, leur bravoure, leur intrépidité et leur faste
légendaire ; qui fut grand par ses cités historiques qui ont montré au
reste du monde étonné et ébahi que l’on pouvait, dans des conditions extrêmes,
cultiver l’érudition et créer une civilisation pouvant avantageusement tenir la
comparaison avec celles des autres régions du monde.
On voudrait, en somme,
que ces rubriques nous parlent d’un pays et d’un peuple qui furent grands et
qui veulent le rester et qui font, jour après jour, ce qu’il faut pour le
rester.
On voudrait que ces
rubriques…
Mais elles ne nous
parlent que de forfaiture, d’exclusion, de racisme, de malhonnêteté
intellectuelle… Et si ce n’était que de cela, mais non, elles nous parlent, en
plus et jusqu’à l’écœurement, d’assassinats et de meurtres.
Quel immense
gâchis ! Quelle monstrueuse perversion !
Sennen Andriamirado et
moi, nous nous retrouvons sur une chose : la grandeur passée du Mali et de
son peuple. Nous divergeons sur le reste.
Lui, c’était en 1992,
après les premières élections libres du pays. Il gardait espoir. Aussi émit-il
un vœu :
« Les
Maliens sont debout. Maintenant il faut marcher. La route est longue jusqu’à
l’horizon. »(1)
Il n’avait pas tenu
compte des autres paramètres à moins qu’il n’ait, en toute connaissance de
cause, choisi d’occulter le problème de l'Azawad.
Quant à moi, vingt ans
après son vœu, le mien est le suivant :
« Puissent
tous les apprentis dictateurs, apprentis sorciers et faux monnayeurs, qui ont
mis le Mali là où il est aujourd’hui, et leurs futurs imitateurs se rappeler
qu’ils ont, désormais, ou auront la justice à leurs trousses ».
J’ouvre une parenthèse
pour dire ceci :
Tous les documents publiés dans ce livre ou
presque sont des reprises d’articles de journaux maliens (journaux reconnus et
autorisés). Articles publiés, certains depuis plus de deux décennies, et qui
n’ont jamais fait l’objet de décisions de quelque nature qu’elles
fussent : administrative ou judiciaire. Tous les présidents maliens (à
l’exception de Modibo Keïta, déchu du pouvoir en 1968 et mort en détention en
1977) ont lu ces articles (ou ont eu la possibilité de le faire) sans objection
de leur part. Aucun de ceux qui ont été pris à partie dans ces articles n’a
utilisé, ne serait-ce que son « droit (naturel) de réponse ». Aucun
(y compris ceux qui étaient en exercice au moment de la parution de ces articles)
n’a déferré qui que ce soit devant les juridictions maliennes pour des
accusations d’une gravité aussi exceptionnelle.
D’autres documents
proviennent d’ouvrages maliens, écrits par des maliens, édités au Mali par des
éditions maliennes. Et auxquels s’applique tout ce qui vient d’être dit à
propos des articles de presse.
Le reste (très peu)
provient d’organisations non gouvernementales (Amnesty International et KWIA),
des Fronts de l’Azawad et de la société civile malienne, documents tous
adressés aux plus hautes autorités de l’Etat ou rendus publics. Ce reste, au
demeurant, même s’il a paru nécessaire de le publier, n’ajoute rien d’essentiel
à ce que disent les deux premières
sources.
Je ferme la parenthèse.
Pour les maliens, parce
qu’il faut finir sur une note d’espoir ou sur un conseil d’ami, je voudrais
leur dire :
« Vous
avez un magnifique pays. Je l’ai connu quand il n’était pas divisé. Quand il
était uni, quand il était fraternel, quand les relations de
« cousinage » entre ethnies permettaient d’aplanir et de régler la
plupart des conflits ; quand les conflits eux-mêmes n’étaient, en fait,
jamais ethniques : ce n’étaient pas des blancs contre des noirs ou des
mossis contre des peuls, c’étaient des problèmes qui surgissaient autour des
points d’eau ou des champs ou des pâturages et qui mettaient aux prises ceux
qui se partageaient ces ressources de quelque race ou de quelque ethnie qu’ils
soient.
Votre
pays est un pays central qui a vocation à être du sud comme il a vocation à
être du nord. C’est un pays trait d’union, socialement et
culturellement. Il n’est jamais grand et il n’a jamais sa pleine stature que lorsqu’il reste dans ce
rôle. Si Modibo Keïta a pu réconcilier les frères ennemis algérien et marocain
en Octobre 1963 c’est parce qu’il était
lui-même l’un d’eux. S’il a pu si facilement avoir leur appui pour mettre fin à
la « rébellion » touarègue, c’est que ces deux-là (le Président
algérien et le Roi du Maroc) n’envisageaient pas le problème de l’Azawad sous
l’angle de la race ; c’est qu’ils croyaient en un Mali un, multiracial et
multiculturel où le Bozo et le Berbère (Arabe ou Targui) seraient pareillement
chez eux. C’est qu’ils n’avaient jamais, à aucun moment, songé qu’il pût y
avoir un Diby Silas Diarra ».
Je
voudrais dire aux maliens : « Vous avez, de par sa diversité, un pays
riche dans tous les sens du terme. Le nord et le sud se complètent et se
soutiennent. Ici, un pays bien arrosé où il suffit de semer pour récolter. Une
densité de population qui permet d’entreprendre et de réussir les projets de
développement les plus ambitieux. Là, un pastoralisme des grands espaces qui
permet l’autosuffisance en animaux sur pied, en produits laitiers, en viande et
en produits dérivés. Un pastoralisme dont l’empreinte sur le sol est très légère
et dont tous les acteurs, d’une grande frugalité et d’une grande sobriété, ne
coûtent quasiment rien à l’Etat.
Ici
et là, peut-être là plus qu’ici, de fabuleuses richesses minières pour
lesquelles il faut la paix et la stabilité. Ici et là, Savane et Désert
conjugués, le Mali, n’eût été ses dirigeants, aurait été depuis des décennies
un des rares pays africains à assurer à ses ressortissants l’autosuffisance
alimentaire ».
Je
voudrais dire aux maliens : « Vous avez un beau pays, ne le détruisez
pas ».
Je
voudrais leur dire, surtout à ceux du « sud » : « N’écoutez
plus ceux d’entre vous qui prônent la haine raciale et l’ostracisme, n’écoutez
plus ceux qui veulent vous imposer leurs choix qui ne sont pas forcément les
vôtres. Ils vous disent que les Touareg ne sont pas des maliens ; ils vous
disent que vous pouvez, avec l’aide de la CEDEAO et du Conseil de Sécurité, les
« bouter » hors du Mali. Tous ceux-là sont des oiseaux de
malheur ».
« Qu’ont-ils
à gagner les Maliens, me disait en 1990, un diplomate en poste dans un des pays
du Maghreb, qu’ont-ils à gagner les Maliens à se couper de leurs
Touareg ? » La réponse est naturellement : rien.
Je
voudrais dire à cette frange de maliens : « Que les Touareg sont chez
eux au Mali, sinon plus, du moins autant que le sont les Wangara à Tombouctou,
pour ne prendre qu’un seul exemple. Ceux-ci sont à Tombouctou, selon les
meilleures sources depuis le 15è siècle alors que ceux-là sont en Azawad depuis
des millénaires. Personne ne peut les « bouter » hors de chez eux. Il
faut bien que les oiseaux de malheur dont il est question plus haut s’en
fassent une raison ».
Je
voudrais leur dire: « Que la paix ne se décrète pas. La paix véritable -
qui ne peut être synonyme de trêve -, c’est une relation d’un tout autre genre qui
se noue entre les cœurs, c’est un sentiment magique qui fait, qu’en présence de
« l’autre », on se sent « protégé ». « L’autre »
est un autre « soi-même ». C’est
cette paix qu’il vous faut avec vos Touareg, j’allais dire avec
« vous-mêmes ».
Posez-vous
la question suivante : À quelle distance de cette paix vous mettent vos massacres
périodiques de Touareg dans toutes les agglomérations maliennes y compris la
capitale Bamako et les destructions et pillages de leurs habitations et de
leurs boutiques ? À quelle distance de cette paix vous mettent vos
assassinats de Mauritaniens, installés depuis longtemps chez vous et recensés,
ou de passage sur votre sol, pour le seul fait qu’ils appartiennent aux mêmes
groupes ethniques que les nomades maliens ?
Posez-vous
cette autre question : Pourquoi le Niger (avec des problèmes en tout
semblables aux vôtres) n’a-t-il jamais fait la chasse à ses Touareg ?
Pourquoi aucune famille Targuie n’a-t-elle jamais été chassée des principales
villes du Niger et, encore moins, de la capitale Niamey ? Pourquoi les
Nomades du Mali et de Mauritanie se sentent-ils en sécurité au
Niger ? » (2)
Je
voudrais dire à ces maliens – sans être un donneur de leçons – parce qu’étant
né chez eux, j’ai pour leur pays un amour filial et pour eux un devoir de
sincérité : « Faites la paix, d’abord, avec vous-mêmes et en
vous-mêmes.
Les
Touareg sont vos frères. Ils pensent comme l’a si bien rapporté Edgar Pisani, le médiateur, que c’est vous du sud, disons-le crûment, vous
les « noirs » qui ne voulez pas d’eux. N’écoutez pas les racistes qui sont parmi
vous, les diviseurs. Suivez votre cœur : ouvrez à vos Nomades :
Touareg, Arabes et, pour en rire au moins une fois, à vos « oreilles
rouges », largement vos bras. Faites la paix des cœurs réconciliés.
Vous
avez beaucoup à faire ensemble. Mais ensemble, on est plus fort. Et les Maures
disent à juste titre que : « la charge du groupe pèse le poids d’une
plume d’oiseau ».
Puisse la
réconciliation des maliens permettre que la reconstruction du Mali ne soit plus
que de cet ordre.
……………………………….
(1)Sennen
Andriamirado : Jeune Afrique N° 1634-1635 du 30 avril au 13 mai 1992
(2)
Le Niger, pourtant, a connu ce que le Mali n’a pas connu (et qu’il n’aurait
apparemment pas toléré) une tentative de coup d’Etat qui aurait été perpétrée
par un Nomade, le Capitaine Sidi Mohamed, chargé de la sécurité personnelle du
Président Seyni Kountché. En dehors des présumés coupables, personne n’a été
inquiété. Il n’y eut aucun pogrom parmi les populations Touarègues ou Arabes du
Niger. Le Niger est resté, comme il le fut auparavant, un pays d’accueil et une destination de choix pour les Nomades de
tout le Sahel.