lundi 29 juillet 2013

UNE VOIX DANS LE DESERT


UNE VOIX DANS LE DÉSERT

La classe politique malienne et ses média ont, sans relâche et à l’unisson, désinformé, désinformé, désinformé et ont réussi leur coup. Un coup imparable, il est vrai, puisque leur adversaire est littéralement knock-out. Non pas groggy, mais K.-O.
La CEDEAO, l’UA : toute l’Afrique a fait chorus avec « ces » maliens.
Les Organisations de défense des droits de l’homme ont adoubé,
Le G8 a béni.
Le conseil de Sécurité a légiféré.
L’Armée française a sorti le grand jeu et montré de quoi elle était capable. Elle a fait la démonstration qu’un avion de chasse lancé à Mach2 pouvait, de dix mille mètres d’altitude, pulvériser, dans un désert intégral, un Touareg en dépit de sa redoutable kalachnikov. Une magistrale démonstration. Un des fameux théorèmes de Fermat enfin élucidé.
L’intégrité du territoire malien est rétablie voire renforcée.
Diouncounda Traoré, l’homme qui revient de loin, le « frère » du Président français peut enfin sourire et même rire à gorge déployée, faisant montre de dents d’une blancheur éclatante.
On peut se permettre un ouf de soulagement : l’humanité est passée à deux doigts de la catastrophe.

Mais ces Touareg, en quoi diffèrent-ils des millions de leurs frères de race éparpillés sur cette immense bande de sable chaud qui va de l’Atlantique au Lac Tchad ?
Pourquoi sont-ils si méchants ? Pourquoi en veulent-ils au Mali et à ses dirigeants qui les ont littéralement choyés, nourris, blanchis et leur ont offert l’hospitalité sur les deux tiers de leur territoire ; le tout sans contrepartie? Ne devraient-ils pas être, ces Touareg, reconnaissants aux Modibo Keïta, Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré et à leurs gouvernements de leur constante sollicitude? Se rendent-ils seulement compte qu’il leur a été donné, durant ces longues années, de respirer l’air le plus sain et le plus vif qui soit : celui de ces vastes contrées laissées exprès vierges à leur intention ?

Voilà des questions que peu de gens se sont posées. Nous, si.
 Ce que nous avons découvert va étonner plus d’un et accablera autant. Nous en avons fait un livre que nous avons adressé il y a cinq mois (début Février) à deux des plus grands groupes d’édition français dans l’espoir que sa publication aiderait (obligerait) les uns et les autres à poser correctement l’épineux et récurrent problème malien. Ne dit-on pas qu’un problème bien posé est à moitié résolu ?
Les maisons d’édition faisant partie de ces groupes n’ont malheureusement pas pu le publier ; soit qu’il n’entrait pas dans leur ligne éditoriale, soit qu’elles ne croyaient pas lui trouver de lectorat.
L’une d’elles nous a néanmoins fait l’honneur (nous lui en sommes profondément reconnaissant) de nous donner une appréciation plus détaillée du manuscrit. Cette appréciation la voici :
« Nous avons étudié avec attention le manuscrit […] Il ne nous a malheureusement pas paru possible de le retenir pour publication. En effet, même si le sujet est fort et important, et les informations apportées riches, sa lecture nous a persuadés qu'il ne saurait trouver, par l'intermédiaire de nos collections, le public susceptible de lui faire le meilleur accueil : le problème abordé est trop "pointu" ».

Nous l’avons confié à d’autres éditeurs et nous avons bon espoir qu’il paraîtra très prochainement.  C’est du moins notre souhait et ce, d’autant plus que la gestion de la « crise malienne » est passée depuis le 1er Juillet sous le contrôle des Nations Unies.
Notre conviction est qu’il permettra, ce livre, à la MINUSMA de mieux cerner la situation dans laquelle elle s’insère  et de lui trouver – pour peu qu’il y ait de sa part (nous parlons de la MINUSMA) un tant soit peu de probité et de bonne foi – les solutions les meilleures. Il est le seul ouvrage complet sur la tragédie de l’Azawad ; le seul ouvrage complet sur les rébellions touarègues au Mali : leur genèse, leurs  motivations, leur vie, leur mort et leur sempiternelle résurrection.
 Parce qu’il nomme les choses par leurs noms, le livre obligera de même la classe politique malienne et ses média à sortir des mensonges dans lesquels ils s’enferment. Il ne leur laisse aucune échappatoire. Ils ne peuvent plus s’exonérer d’apporter les preuves de leurs accusations aussi bien que de leurs dénégations.

Mais en attendant…
Le premier tour des élections présidentielles maliennes est programmé dit-on pour le 28 juillet. Aujourd’hui.
 Il faut coûte que coûte éviter que le Mali ne redevienne un nouveau Kenya et que ne soit élu un Président passible de la Cour Pénale Internationale. Or tous ceux qui s’affichent, qu’on voit à longueur d’émission et qu’on entend, tous ceux qui tiennent les rênes du peu de pouvoir qui reste encore aux mains des maliens, tous les prétendants à la magistrature suprême, tous ceux qu’on dit archi-favoris, tous ceux-là sont les mêmes qui ont géré le pays durant ces vingt dernières années. Ils ont été plongés jusqu’au cou et parfois jusqu’à l’immersion totale dans les miasmes de la politique et des affaires dont on voit le résultat aujourd’hui. Ils ont été Ministres des Affaires Etrangères, Ministres de la Justice, Ministres des Finances, Ministres de la Défense et des Forces armées, Ministres de l’Intérieur, Ministres de la Fonction Publique, du Travail et de la Modernisation de l’Administration, Ministres des Zones arides et semi-arides (ça ne s’invente pas), Ministres de…  etc.   Certains ont occupé tous ces postes ou presque les uns après les autres et d’autres ont été  Présidents de l’Assemblée Nationale et même Premiers Ministres.
Sait-on seulement que même l’actuel Premier Ministre Diango Cissoko – que tout le monde croit blanc comme neige – a été de 1971 à 1979 à la tête des Services pénitentiaires maliens et, même Directeur de la Prison Centrale de Bamako de sinistre renommée ? Qu’il a été Ministre de la Justice, Garde des Sceaux de 1984 à 1988 ? Le tout sous le Général Moussa Traoré. Pour ceux qui ne savent pas ce que cela implique, nous leur recommandons de lire « TRANSFERTS DÉFINITIFS » du Colonel Assimi Souleymane Dembélé (Editions Le Figuier, Bamako, Mali, 2003) : ils seront édifiés.
Nous pensons donc qu’en publiant sur le net quelques extraits du livre à paraître, nous faisons œuvre utile et que ceux qui ont véritablement souci du Mali, qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur accepteront de revoir leurs « copies » à la lumière des informations fournies.
Nous sommes de ceux qui croient – même si nos raisons ne sont pas les mêmes que celles des autres – qu’un report des élections (même entre les deux tours) ne serait en aucun cas catastrophique. Nous pensons, pour notre part, que ce report aurait permis (ou permettra) aux maliens  - du moins à ceux d’entre eux qui ont à cœur que le Mali devienne véritablement une Nation au lieu de n’être qu’un Etat -  aussi bien qu’à la Communauté internationale de revoir tout le processus de reconstruction du Mali sur des bases plus saines. Notamment – et ce ne sera pas le moindre des bienfaits de ce report – en excluant du processus tous ceux impliqués dans les graves manquements aux droits de l’homme au Mali durant ce dernier demi-siècle.
Le Mali a besoin de repartir du bon pied, débarrassé des salissures du passé, réconcilié avec lui-même, réconcilié avec son histoire. Le Mali fut, de tous les pays africains au Sud du Sahara, celui qui, très tôt et le premier, s’ouvrit sur le monde extérieur ; celui qui le premier apporta une contribution de valeur à la civilisation universelle.
Notre livre, une fois paru, aidera tous les acteurs impliqués dans la recherche d’une paix durable au Mali à appréhender la « situation » dans ses dimensions vraies. Les extraits publiés permettront déjà d’amorcer un dialogue plus constructif et de bâtir des plans de « refondation », comme disent certains, plus pertinents et donc plus viables.
Ces extraits comporteront essentiellement : l’ « Introduction » (pp. 11-29),  la rubrique : « Sur la plus haute marche » (pp. 145-148) et la « Conclusion » (pp. 171-174) auxquelles s’ajoutent la « Note liminaire » (pp. 7-9) et le « Sommaire » dont l’énoncé seul suffira à rafraîchir la mémoire à quelques uns, amnésiques véritables mais aussi à des milliers de faux amnésiques.
Nous savons (et il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour arriver à cette conclusion) que si la situation au Mali est telle qu’elle se présente aujourd’hui, c’est bien parce que beaucoup d’acteurs de l’intérieur et de l’extérieur ont fermé les yeux ; c’est bien parce que beaucoup d’acteurs de l’intérieur et de l’extérieur l’ont voulue ainsi.
Les autorités de transition du Mali parlent de réconciliation mais elles reconduisent, au Nord-Mali, la même administration militaire qui a mis à feu et à sang l’Azawad depuis des décennies.
S’il y a une ville symbolique dans ce Nord-Mali, c’est bien la ville de Tombouctou et, à cela, deux raisons au moins : sa dimension mythique d’abord et les tueries, ensuite, qui s’y déroulèrent du Vendredi 10 Juin 1994 au Mercredi 29 Juin 1994. Massacres et tueries d’une bestialité telle qu’il faudrait pour les qualifier compulser tous les dictionnaires : en dehors des guerres entre nations, il n’y en eut guère de semblables nulle part ailleurs.
Or qui envoie-t-on à Tombouctou comme Gouverneur ?   Le Colonel-major Mamadou Mangara qui, dans une interview accordée à l’Agence mauritanienne AL AKHBAR et reprise par le journal malien NOUVEL HORIZON (n° 4367 du 19 Février 2013 page 5) dit : « J’ai été Commandant de compagnie à Kidal en 1985. (…) Je n’ai pas vu d’Arabes ou de Tamasheks blancs restés à Tombouctou. Ils sont partis par peur (…)  Leurs boutiques ont été pillées. »
Le Colonel ne trouve même pas matière à s’indigner. Ne serait-ce que pour le principe.
Voilà comment,  à Bamako, on prépare la réconciliation entre maliens, alors même que l’Armée française est encore au Mali et sur le terrain ! Voilà les hommes avec lesquels on veut bâtir le Mali nouveau.
Qu’en sera-t-il lorsque les forces d’intervention étrangères auront quitté le sol malien après avoir remis aux autorités de Bamako un Azawad émietté, pilonné, piétiné, bâillonné, exsangue et poursuivi, sur la base d’allégations tendancieuses, par toutes les juridictions internationales ? 

Les extraits que nous publions permettront (nous en reformulons l’espoir) de reconsidérer toute l’équation malienne et, au-delà de l’histoire  immédiate et des contingences qui peuvent parfois être prégnantes, de lui trouver des solutions inédites et qui préservent  mieux l’avenir.

Barack Obama n’a pas pu se rendre au Kenya  - quelque envie qu’il en ait - parce que l’actuel Président kenyan est jugé infréquentable par la Maison Blanche. Il ne faudrait pas que,  pour les mêmes raisons,  demain, le Président français, de quelque bord qu’il soit, ne puisse pas se rendre à Bamako pour serrer dans ses bras ses « frères » et obligés.
Sans être naïf ou vouloir nous faire passer pour tel et, bien que conscient du peu de portée de tout message de sagesse, nous préférons, par cette contribution, être de ceux qui, nonobstant ce handicap, ont toujours choisi d’être une voix qui prêche… dans le désert.

Majed Lotfi Haroun
28/7/2013









EXTRAITS











MAJED LOTFI HAROUN












L’ENFER





L’AZAWAD
Les documents qu’il faut avoir le courage de lire (ou de relire)

















*Pour la page 4 de couverture



Voici des hommes et des femmes qui, depuis des millénaires - les vestiges  préhistoriques (peintures rupestres et autres) l’attestent -  sont sur leur sol ;  des hommes et des femmes qui, en dépit de leur démographie qui ne les a jamais aidés, se sont battus furieusement et très souvent victorieusement contre les envahisseurs (ce qui leur a permis, à toutes les époques, de préserver leur indépendance ou, à défaut, de garder une très large autonomie) ; voilà qu’aujourd’hui, où le droit à l’autodétermination est un droit reconnu à tous les peuples, on refuse à ces mêmes hommes et à ces mêmes femmes la simple autonomie qui, leur permettrait, tout en restant solidaires des autres, de garder leur âme. Et l’on veut qu’ils acquiescent. Et qu’ils collaborent à leur propre assassinat. Et qu’ils ne puissent plus, le soir, danser au son du Tbel.
Et le monde entier se ligue contre eux. On les enferme, on les affame, on les opprime, on les massacre par campements entiers. Mur du silence. Chape de plomb. Omerta. Jamais vocables n’ont été employés à si bon escient.

Il faut que les Touareg aient, dans leur longue histoire, commis des crimes si odieux, des actes si contre nature ; il faut qu’ils aient été, en un mot, si haïssables pour mériter tant de haine et que la communauté entière des nations leur tourne le dos pour ne pas voir leurs larmes ; et se bouche les oreilles pour ne pas entendre leurs cris ; et les narines pour ne pas sentir la puanteur de leurs cadavres.















* Epigraphe


« De l’ère « socialiste » de  Modibo Keïta au long règne des militaires sous la férule de Moussa Traoré, ce furent trente années de violences sans nom ».        
Moussa Konaté
Préface du livre « Transferts définitifs »
 du colonel Assimi Souleymane Dembélé                                                             
Editions Le Figuier, Bamako, Mali, 2003








 « Il y a des temps – et je crois que celui-ci en est un – où il ne suffit pas de dire sa vérité, il faut la crier».
Gilbert Cesbron

























TOUAREG … ?



« Au fil des siècles et du nomadisme, le métissage tribal et l’assimilation culturelle ne permettent plus de distinguer touaregs et arabes, comme on le fait encore à tort entre les populations amazighophones et les berbères arabisés au Maghreb. Les Kountas, Beraber, Berabich, Zenaga, Iguellad, Ansar, Chorfa, etc. d’origine arabo-berbères, qui nomadisent des confins désertiques maghrébins jusqu’à Zinder, se sont au fil des siècles complètement fondus dans la culture touareg au désert (langue, mœurs, traditions, habillement, coutumes sociales et juridiques…) Ils forment en réalité un seul peuple vivant en symbiose. »
 Saâd Lounès : Les Echos N° 3701 du 5 juillet 2011

Tout au long de ce livre, le vocable Touareg désignera donc  - sauf exception dûment indiquée - aussi bien les Touareg stricto sensu que les Arabes (ou Maures) : c’est-à-dire les populations de race blanche que l’on a coutume de désigner au Mali par le terme générique de Nomades.













SOMMAIRE

NOTE LIMINAIRE  …………………………………………………………………………..7

INTRODUCTION     …………………………………………………………………….10
Note d’introduction …………………………………………………………………… …11

Après et … AVANT-PROPOS…………………………………………………………30
Ecueils et maléfices      …………………………………………………………………….31

LES RÉBELLIONS TOUARÈGUES : HISTORIQUE ET PROBLÉMATIQUE….32
Saâd Lounès : Les Touareg veulent des Etats fédéraux au Mali et au Niger……………….33

GENÈSE DE LA RÉBELLION AZAWADIENNE…………………………………43
ATT : Allocation à propos de la Conférence de Tombouctou (Novembre 1991)……….44
Ambéïry Ag Rhissa : Question Touareg  -  Extrait : La provocation……………………50
Et si on parlait de jambes ?.............................................................................................51
OCRS …………………………………………………………………………     ….53
Ambéïry Ag Rhissa : Question Touareg  - Extrait : L’OCRS…………………………  56
Med Elmehdi Ag Attaher : Droit de réponse………………………………………….58
L’embrasement de l’Adrar…………………………………………………………… 61
Pourquoi tout ce battage ?...............................................................................................65

LES TOUAREG RÉCLAMENT L’AUTONOMIE DE L’AZAWAD……………70
Document de la 1ère négociation officielle Mali-Fronts  (Mauritanie 7-12/9/1990)………….71
Lettre ouverte des Fronts aux Chefs d’Etat et de Gouvernement réunis au Palais de Chaillot
                                                          à Paris du 19 au 21 Novembre 1991……………….75
Déclaration de Tawardé  ………………………………………………………………….77
Fax Fronts à Soumeylou Boubèye Maïga  DG Sûreté Bamako…………………………….80
Récapitulons……………………………………………………………………………….81

RÉPONSE DES AUTORITÉS MALIENNES : INSINCÉRITÉ ET MAUVAISE FOI  82
Le rocher de Sisyphe……………………………………………………………………… 83
Réponse du Ministre de l’ATCL au journal Le Républicain sur l’application des Accords d’Alger 84
Document Fronts – Communiqué FIAA à propos de la rencontre du 15-18/7/95 à Tombouctou…85
Extrait Journal Mauritanie Nouvelles : Konaré entre paix et guerre civile…………………………86
Ambéïry Ag Rhissa : Question Touareg – Extrait : Insincérité et mauvaise foi…………………….87
Gandakoye……………………………………………………………………………………90
La voix du Nord (organe de Gandakoye) N° 00 ……………………………………………….92

GESTION CRIMINELLE DE LA CRISE DU « NORD-MALI »………………………96
Les fruits de l’impunité………………………………………………………………………97
Ambéïry Ag Rhissa : Question Touareg – Extrait : l’aveuglement…………………………….100
Les portes de l’enfer………………………………………………………………………104
Document Kel Essouk……………………………………………………………………106
Tombouctou martyrisé………………………………………………………………….112
Salka mint Mahfouz : « Ils ont tué mon mari sous mes yeux »…………………………….114
Houday Ag Mohamed : Le lieutenant Blo, le tueur de Ber démasqué……………………..117
Documents Fronts……………………………………………………………………….128
Note d’information sur les massacres de Gao, Tombouctou, etc.   ……………………….129
Liste partielle des exécutions sommaires de Léré (20/5/1991)…………………………….131
L’attaque de la garnison de Lerneb……………………………………………………….133
Lettre des cadres et notables de Tombouctou au Président du CTSP……………………..134
Aliou A. Touré : Menaces d’assassinat contre ATT……………………………………….140
Amnesty International : Rapport 1991……………………………………………………142
KWIA : Lettre au Président Alpha Oumar Konaré………………………………………144
Sur la plus haute marche…………………………………………………………………145
La forfaiture……………………………………………………………………………149
Extrait journal La Nation : Sur le champ de l’honneur……………………………………151

APPENDICES……………………………………………………………………….152
SBM…………………………………………………………………………………153
Le lapsus qui accuse………………………………………………………………….156
Qui l’eût cru ?................................................................................................................158
Ô Mali de toujours !  ………………………………………………………………….162

CONCLUSION…………………………………………………………………….170
Ensemble on est plus fort  ……………………………………………………………171

ANNEXES………………………………………………………………………….175
Ambéïry Ag Rhissa : Question Touareg – Problèmes du Nord : Brève genèse historique…176
La Voix du Nord (organe de Gandakoye) : photocopie parution originale……………….184
Lettres des cadres et notables de Tombouctou au Pt du CTSP : photocopie de l’original…188
Amnesty International : Rapport 1991 – Version anglaise………………………………193
Document Kel Essouk – Texte arabe…………………………………………………195
Accord de Tamanrasset du 6 Janvier 1991………………………………………….199
Pacte National du 11 Avril 1992…………………………………………………….204








NOTE LIMINAIRE
14 Janvier 2013

L’introduction de ce livre a été écrite en Juillet 2012. Depuis, l’histoire s’est emballée. Les événements ont changé de nature. La France, en s’engageant au Mali comme elle le fait, c’est-à-dire : en prenant résolument, souverainement « les choses en main », joue son va-tout. Elle veut sauver son pré carré. Elle veut surtout continuer à n’avoir affaire qu’aux seuls  maliens  qui lui font  allégeance. Du même coup, elle donne au monde et aux Africains, qui ont applaudi son refus d’ingérence (au grand jour) en Centrafrique, la preuve la plus éclatante qui soit que la Françafrique n’est pas morte. En même temps qu’elle fait la démonstration que l’Armée malienne ne peut se battre à armes égales contre ses « rebelles ». Homme contre homme.  Cela explique la propension de cette armée à ne s’en prendre qu’aux civils ; qu’elle massacra, au cours de ces cinquante dernières années, comme on le verra, dans les pages qui suivent, de façon implacable.
Ceci dit, cette introduction écrite depuis six mois n’est-elle pas en décalage par rapport aux événements et, pour ainsi dire,  hors de propos ? Je ne le crois pas et c’est la raison pour laquelle je n’y changerai pas une virgule. Les documents que je présente, au surplus, se passeraient aisément d’introduction. Elle ne sert qu’à recréer le climat, l’atmosphère des événements qu’ils relatent. La thèse que j’y défends – celle, il me semble, du bon sens et de la sagesse – est que les maliens doivent savoir prendre leur destin en main, sans ingérence aucune ; se réconcilier pour s’asseoir autour d’une table et négocier en n’ayant pour seul objectif que la grandeur du Mali.  Ce qui n’exclue pas que les criminels, une fois bien identifiés, soient jugés avec toutes les garanties d’équité.
La France, avec son intervention actuelle, mène, à visage découvert,  sa guerre à elle contre les Nomades maliens (1). Elle peut la gagner. La disproportion entre les forces (bombardiers contre fusils d’assaut) joue en sa faveur. Mais après, voudra-t-elle, pourra-t-elle recoloniser le Mali et s’y installer une décennie ou deux pour pérenniser sa (probable) victoire ?
Et le Mali (parce qu’après tout il s’agit ou il s’agira, qu’on le veuille ou non, du Mali et de son avenir) que gagne-t-il dans cette intervention qui l’oblige à abdiquer son libre arbitre et sa souveraineté ? (Et qu’on ne nous dise pas le contraire). Est-il satisfait du rôle qu’on lui fait jouer ? A-t-il mesuré toutes les conséquences de cette intervention française ? Comment ses futurs dirigeants pourront-ils garder un pouvoir qui leur aura été remis (si jamais il l’est) de cette façon ?  Qui pourra lui garantir que la rébellion une fois terrassée ne se relèvera plus ?
Modibo Keïta, en 1964, avait proclamé triomphalement la fin de la rébellion. Elle a repris plus forte vingt six ans après, en 1990. Les Accords de Tamanrasset et le Pacte National (non appliqués depuis) y ont mis fin pour un temps. Elle a repris vingt ans après et la débâcle actuelle de l’Armée malienne donne une idée de sa vigueur.
Tout cela me remet en mémoire les fameuses trois courbes de Jules Romains (2) : celle de la nature humaine, celle des institutions et celle de la technique (ou du pouvoir qu’elle confère) qui cheminaient côte à côte depuis des millénaires et qui, avec les temps modernes, s’écartèrent dangereusement les unes des autres. Surtout celle de la technique qui s’emballa, seule, provoquant des catastrophes et des guerres sans commune mesure avec celles du passé (les institutions, imparfaites déjà et accusant un retard considérable par rapport à la technique, ne pouvant jouer leur rôle et brider les impulsions violentes d’une nature humaine, elle-même restée fruste).
Jules Romains de conclure que si les trois courbes continuent de s’écarter vertigineusement les unes des autres, on ne peut échapper aux conclusions  suivantes :
1° - « Le même jeu de forces qui jusqu’ici a produit les catastrophes n’a aucune raison de n’en pas produire de nouvelles […]
2° - « Une nouvelle catastrophe sera nécessairement beaucoup plus grave que la dernière. Elle présentera le pouvoir de destruction de celle-ci plusieurs fois multiplié – d’autant plus de fois multiplié que l’intervalle entre les deux catastrophes aura été plus long. (Donc, en fin de compte, l’allongement du délai sera sans profit pour l’humanité.) »
Le Mali ne craint-il pas qu’il en soit de même pour lui et que cette parenthèse française ne se révèle être, dans les années ou décennies à venir, sans profit pour lui ? Ne craint-il pas que la prochaine (et quasi certaine) rébellion ne l’emporte comme, naguère, fut emportée la Somalie ?
La « rébellion », lorsqu’elle stoppa volontairement son avancée, avait Bamako à portée de fusil. Elle a eu la sagesse de s’arrêter. (Certains diront, aujourd’hui, la naïveté). Les Autorités maliennes et leur classe politique n’ont pas eu la sagesse (ou en ont été empêchées) de négocier et, ce faisant, de réconcilier les maliens, tous les maliens. De quel poids sera la parole du Mali pour qu’une prochaine rébellion accepte de l’entendre ?
La France, de son côté a-t-elle mesuré la responsabilité qui sera la sienne, au cas (plus que probable - puisque beaucoup d’officiers maliens l’ont dit à leurs confidents) où les militaires maliens traînés dans la boue et humiliés par les rebelles, profitant du parapluie français et renouant avec l’ère Diby, se vengeraient sur les civils ? Certains ont promis carrément de faire « place nette » en Azawad.
Personne ne peut se targuer d’ignorer la soif de vengeance qui les anime. Fils de soldat, touché au plus profond de son être par la peu glorieuse déroute de son armée, le Président par intérim lui-même (relisez son tout premier discours), de retour de Ouagadougou où il venait d’être fraîchement investi de ce titre, ne parle que de  « guerre totale et implacable ».





…………………..
Notes :

(1)L’argument « AQMI » est un faux argument. Cette organisation était au Mali bien avant les événements récents et personne, ni la France ni les pays occidentaux qui la soutiennent aujourd’hui n’ont rien fait ni même rien tenté pour l’éradiquer. Seules l’Algérie et la Mauritanie essayaient (sans coordination réelle, il est vrai) de s’opposer à son implantation, aussi bien militairement que par leur refus permanent de négocier avec les preneurs d’otages quels qu’ils soient. Durant ce temps, tous les pays occidentaux ou presque ont négocié (directement soit indirectement) la libération de leurs ressortissants au mépris de leurs propres déclarations. Beaucoup d’analystes n’hésitent pas à dire que la présence d’AQMI en Azawad  a été, sinon voulue, du moins grandement facilitée par les gouvernements maliens successifs. Elle leur permettait de se faire valoir en jouant « les Messieurs bons offices » en même temps qu’elle rendait probable une intervention étrangère qui les débarrasserait, dans la foulée, de leurs « oreilles rouges ». Le scénario en cours depuis le 11 Janvier.

La guerre qui est menée ces jours-ci ne peut avoir qu’un  objectif : empêcher les Touareg maliens d’avoir leur autonomie ; comme ils en ont été, durant ces vingt dernières années, empêchés par des politiques d’aide et de soutien multiformes et sans limite des puissances occidentales au Mali. Alors même que le Pacte National signé solennellement à Bamako en Avril 1992 (et non appliqué) « consacr[ait] le statut particulier du Nord du Mali », ce qui équivaut exactement, selon le Titre III du Pacte, à une autonomie.

La stratégie la moins aléatoire et aussi  la moins coûteuse (à tout point de vue), pour la communauté internationale, d’éradiquer le terrorisme en Azawad  – si c’est vraiment de cela qu’il s’agit -  n’est-elle pas justement (comme le pensent et le disent les meilleurs spécialistes de ces régions) d’octroyer aux Azawadiens leur autonomie et de les laisser s’occuper d’un problème qu’ils sont plus à même que n’importe qui d’autre de régler ?


(2) « Le Problème numéro un », Plon, 1947 (in « Civilisation contemporaine » M.-A. Baudouy et R. Moussay, Hatier, 1976).






NOTE D’INTRODUCTION
Faut-il qu’un peuple disparaisse pour savoir qu’il existe ?
Mano Dayak

Juillet 2012


Quand le pouvoir délire.  C’est le titre de l’article de Sidi El Moctar Kounta (1) à propos des cinquante années d’indépendance du Mali. Il commence ainsi :
 « À la veille de la célébration du cinquantenaire de l’accession de notre pays à l’indépendance comme si le temps des épanchements était venu, comme s’il s’était agi d’une sorte d’exorcisme, prélude à la catharsis nécessaire pour regarder l’avenir en face, les langues se délient, les témoignages se multiplient. Le Mali indépendant ouvre ses trappes et, à dose homéopathique, livre la face cachée de l’iceberg de son histoire récente.
Le capitaine commissaire Mamadou Belco N’Diaye vient de publier aux éditions Imprimeries du Mali Quand le pouvoir délire, un livre témoignage… Il se veut le prolongement de Dix ans au bagne-mouroir de Taoudénit du sergent chef Samba Gaïné Sangaré,  Le Chemin de l’Honneur de l’adjudant Guédiouma Samaké, Transferts Définitifs du colonel Assimi Souleymane Dembélé,  Ma Vie de Soldat du capitaine Soungalo Samaké et  le Salaire des Libérateurs du vieux RDA (2), Amadou Seydou Traoré.
D’autres fils du pays, au nom du devoir de mémoire, se doivent de porter témoignage de ce que fut notre existence commune dans une entreprise désormais aux allures de vérité – pardon et réconciliation ».
Mais peut-on tout pardonner ? Je dis bien : « tout ».
Peut-on pardonner quand « l’autre » refuse de reconnaître ses torts ? De reconnaître ses crimes ? Et même disons-le, tout uniment, doit-on pardonner ?
C’est la grande question.
Question que les Touareg finiront bien – à leur corps défendant - par se poser si l’on s’obstine à ignorer leur main, toujours et imperturbablement, tendue.
Jamais, au grand jamais, les autorités maliennes n’ont, dans leur histoire, fait preuve de la moindre compassion lorsque les populations nomades ont été accablées par le malheur. Même pas lors de calamités naturelles. À propos de la terrible sécheresse de 1973, voici ce qu’écrivait Philippe Decraene  dans « Le Monde »(3) : 
 « Comme nous l’indiquait un fonctionnaire international, « l’alerte à la famine a été donnée de l’extérieur, et les dirigeants maliens ont simplement suivi…» Un de ses collègues nous précisait : « Le gouvernement malien estime que trop de missions étrangères viennent  en visite ici… Il refuse les visites impromptues dans les camps de réfugiés, exigeant de longs préavis… Comme par hasard, lorsque, après de longues démarches, la demande est agréée, les sinistrés sont alignés impeccablement et encadrés par des infirmiers et des docteurs en blouse blanche… » Un troisième nous a demandé : « Pourquoi les autres Etats voisins, éprouvés par la sécheresse, parlent-ils quotidiennement de la famine, alors qu’au Mali la radiodiffusion et la presse écrite ne l’évoquent qu’exceptionnellement ? Tout se passe comme si l’on voulait cacher quelque chose… »
Aujourd’hui encore, ce grand déballage, dont parle Sidi El Moktar Kounta  et qu’il appelle de tous ses vœux, ce déballage ne concerne que de « petits et mesquins » pourrait-on dire, règlements de comptes au sein de l’Armée et entre militaires de la junte et leurs collaborateurs de la société civile noire du Mali, anciens affidés. Jamais, il n’est question du sort fait aux Touareg, comme si ceux-ci vivaient dans le grand nord sibérien ou dans la pampa brésilienne et non  pas au Mali. Pourtant, qu’est le bagne de Taoudéni (où mourut Diby Silas Diarra après avoir, lui-même, tué froidement des centaines d’innocents) auprès de l’enfer de l’Adrar des Iforas avec ses puits empoisonnés, son cheptel décimé, ses campements incendiés, ses hommes massacrés et leurs femmes offertes aux soldats ? Qu’est le « bagne-mouroir de Taoudénit » (dont sont ressortis vivants des dizaines de condamnés aux travaux forcés, parmi lesquels quelques uns de ceux qui lancent, ces jours-ci, leurs cris d’orfraie) auprès de la journée (4) que fit passer, sous Amadou Toumani Touré, le capitaine Berdougou Koné à la petite bourgade « foraine » de Léré, où il fit exécuter par ses hommes venus de Bamako, toute la notabilité : l’imam de la mosquée, des chefs traditionnels, la presque totalité des commerçants y compris des commerçants mauritaniens et jusqu’à une petite fille apeurée, accrochée aux basques de son père, pharmacien, qui a tout fait pour l’éloigner ? En tout quatre vingt dix personnes.
Heureusement qu’il y a ces feuilles quotidiennes ou hebdomadaires qui tirent à très peu d’exemplaires et en vendent encore moins, éminemment périssables et qui, passant entre les mailles des filets, font parfois – pour nombre d’entre elles – leur travail, c’est-à-dire qu’elles n’entravent pas l’information lorsqu’elle leur parvient. C’est par elles, à condition qu’on se trouve à Bamako ou aux environs immédiats, qu’on peut avoir la chance d’être, de temps en temps, informé sur à peu près tout et, accessoirement, sur les Touareg et l’Azawad, leur habitat.
Parce que l’Azawad, c’est tabou. Au Mali, l’appellation, elle-même, est occultée. On dit et on écrit – même si cela ne signifie rien, même si c’est d’un pompiérisme désuet et fat -  on dit et on écrit, toutes classes sociales confondues, le « Septentrion ». Ailleurs, dans les média français et aux Nations Unies, c’est le « Nord-Mali ». On ne peut pas être plus précis ! Doit-on comprendre que la Provence c’est le « Sud-France » ?

L’Azawad, c’est tabou. Les Touareg, c’est la peste. Une plaie universelle. Déjà, au tout début de la colonisation française,
« Un officier… du Cercle d’Agadez [a proposé] à sa hiérarchie d’exterminer les Touaregs, comme le furent tragiquement les Indiens d’Amérique.
« Si nous voulons à toute force rester dans ce pays de sable, il nous faut songer à le pacifier coûte que coûte, sans avoir aucune pitié pour la race touareg qui n’acceptera jamais, à mon sens, de se ranger sous la loi d’un maître qui prêche la paix et le travail. Les Touaregs n’ont pas plus de raison d’exister que n’en avaient jadis les Peaux Rouges. Malheureusement, le climat du désert et l’être fantastique  qu’est le chameau nous créent des obstacles que n’ont pas connus les Américains. Il est cependant possible de vaincre les difficultés. La guerre européenne terminée, nous pouvons disposer de quelques escadrilles d’aéroplanes. L’envoi de ces puissants engins serait d’un effet radical. Le chameau aura vécu ? Tant mieux. Il n’y aura qu’à attendre les chemins de fer et, pendant ce temps, les pâturages pourront pousser librement quand il aura plu. La question de l’aéroplane doit être posée le plus tôt possible. À moins que nous ne décidions de céder des territoires qui laissent autant de blanc sur nos registres que sur les cartes les plus complètes. Mais y aura-t-il preneur ? » Saâd Lounès(5)
Pour moi qui quittai tout jeune, avec mes parents, il y a bien longtemps de cela, ce qui s’appelait alors le Soudan Français et qui voulus, à la lumière des récents événements, reprendre contact avec le Mali « nouveau », mon étonnement et mon désappointement furent immenses. Naguère herbeux et boisé, par endroits arrosé par des bras de fleuve, avec ses lacs et même sa mer intérieure, à la saison des crues du fleuve Niger, son Tilemsi aux lits d’oueds ombreux, l’Azawad que j’ai retrouvé n’avait rien avoir avec celui que j’avais emporté avec moi et dont mon imagination s’obstinait à ne pas se défaire. À la place, je ne trouvai qu’un désert intégral, sans herbe, sans arbre, sans eau. Sans habitants.
Alors que je le connus prospère, fraternel et plein de vie.
Je demandai qu’on m’expliquât la chose. Mais comment expliquer l’inexplicable ? On m’entretint beaucoup de sécheresse, de désertification, de changement climatique. Aussi, de mal gouvernance, de problèmes politiques, de rébellions…Je restai sur ma faim. C’est alors que, mû par un sixième sens, (il faut bien l’appeler ainsi), je décidai de réunir tout ce que je pouvais trouver comme documents provenant de la région. Et je repartis avec une pleine moisson de journaux, surtout maliens ; et retournai chez moi, de l’autre côté de ce Sahara que je ne pensais pas, auparavant, être une barrière aussi étanche.
C’est alors que je compris, à la lumière des documents récupérés (6), la tragédie de l’Azawad.

Modibo Keïta est passé par là. Avec son ego démesuré et sa folie à éclipses (ce fut longtemps le secret le moins gardé au Mali). L’éclatement de l’éphémère Fédération du Mali et leur claustration, lui et ses frères soudanais dans un wagon blindé, de Dakar à Kayes, le blessa profondément. Il allait donner sa mesure. Il devint, au nom de la fierté nationale, opportunément brandie et magnifiée, un dictateur. Peu après, ayant embastillé les Fily Dabo Cissoko, Hammadoune Dicko, KassoumTouré, il restait seul. Ses thuriféraires en firent un Dieu vivant. Il le crut. On chanta en sa présence :
« Modibo Keïta, Keïta, Keïta !  / Modibo Keïta! /  Koy berdi kâ no yessé Keïta / A ma wâga môyo nda djâri !
« Modibo Keïta, Keïta, Keïta !  / Modibo Keïta! /  Le Grand Dieu qui nous donna Keïta  / Qu’Il le préserve du mauvais œil et des malheurs ! »
Et  son visage rebondi s’irisait de toutes les couleurs de l’autosatisfaction.

L’homme se « carapaça ». Il fit front, seul, poitrine offerte, à tous les impérialismes, à tous les démons, réels et imaginaires.
Et pour commencer, il ferma à triple tour « son » Mali et s’employa à tuer toute velléité de contestation, toute forme d’individualisme. Mais que faire, face à cette morgue touarègue ? Comment être le plus grand, le plus beau, le plus… devant plus fier que soi et qui vous nargue, hautain, sabre au flanc, le visage à demi-dissimulé par un ample litham. Et qui se croit supérieur parce que blanc ?
Il allait faire ce que personne avant lui n’a pu faire. Ni les empires africains, du sud et du nord, avec leurs dizaines de milliers de cavaliers et de fantassins face à quelques centaines de bédouins éparpillés, engagés dans de multiples guéguerres intestines. Ni les colons français avec leurs terribles engins de mort. Il allait, lui, Modibo, le descendant de Soundjata Keïta, briser définitivement les Touareg et débarrasser, à tout jamais « son » Mali de cette vermine.
Il se mit en « croisade ». Il convoqua ses « chiens de guerre » comme les qualifie le colonel Assimi Souleymane Dembélé. À leur tête, le tristement célèbre Diby Silas Diarra, « vraie machine de guerre » selon le même colonel.
Saâd Lounès écrit (7) :
« La répression de Modibo Keïta, aidé des virulents songhaïs…. a été féroce, proche du génocide (tueries, massacres collectifs, abattage de cheptel, empoisonnement des puits, arrestations). Les régions du nord ont été décrétées zones militaires, tous les postes de fonctionnaires militarisés, et les touaregs écartés de toute fonction officielle. Après avoir nié la réalité et l’ampleur de cette dissidence, le gouvernement de Bamako annonce son écrasement complet en 1964 ».
Modibo Keïta pouvait respirer… à pleins poumons et se reposer enfin. Désormais, le Targui, cet homme hautain devant qui tout, dans cet immense désert, doit courber l’échine a été émasculé. Désormais et, jusqu’à la fin des temps, « son » Mali ne connaîtra plus de rébellion touarègue.
Mais c’est mal connaître l’homme. Les Touareg, en plus de les exterminer par milliers, il se fait fort de les asphyxier économiquement en rendant leurs régions invivables. Les Français ont construit le barrage de Markala pour discipliner le fleuve Niger, permettre sa navigabilité et faire un peu de cultures industrielles. Lui, il va faire pomper des milliards de milliards de mètres cubes d’eau pour arroser d‘immenses plaines dans la région de Ségou, où l’on fera pousser tout et rien, quitte à ce que le résultat final soit surtout un immense gâchis d’eau et d’argent. Du moins est-on sûr que les lacs du Faguibine seront desséchés, que la mer intérieure, du Niger en crue, se réduira comme peau de chagrin, que les bras de fleuve qui, naguère arrosaient, le long de ses rives, le désert sur plusieurs kilomètres de profondeur et réalimentaient les nappes phréatiques, que ces bras de fleuve ne couleront pas. Quitte à faire ce que, de nos jours, on appelle des dégâts collatéraux chez ses frères de race, Songhaïs et Peuls. Mais, Modibo Keïta, ce veinard, avait de la chance : l’expression, de son temps, n’avait pas encore été créée.
Pourvu que le Nord qui était presque autosuffisant en légumes de toutes sortes, pastèques, céréales (mil, riz, blé) ou pouvaient l’être (8) ne le fût plus. Des textes furent promulgués concomitamment pour contingenter la circulation des céréales : les fameux « Avis de mouvements » qui interdisaient, sans autorisations signées des gouverneurs des régions du sud, l’approvisionnement des régions du nord. Le commerce de céréales entre le sud et le nord du Mali s’arrêta. Au détriment du Nord. Le commerce, en sens inverse, c’est-à-dire du nord vers le sud, d’animaux sur pied, de viande, de peaux, de sel gemme, de beurre resta libre parce qu’il ne fallait surtout pas affamer les maliens véritables que sont les habitants de Bandjagara, Koutiala, Sikasso, Ségou, Koulikoro, Keniéba, Bamako, Kita et autres Yanfolila…

C’est là (une petite partie de) ce que je découvris, à ma grande stupeur, en lisant des journaux maliens parus ces trente dernières années. Je me suis alors demandé comment tout cela a pu paraître sans que la censure n’intervînt. Il est vrai que Modibo, de son temps, ne l’aurait pas et ne l’a, effectivement,  pas permis.
Mais il a fait des émules en fait d’exactions. Et il était inévitable que ces émules renchérissent sur le modèle et même, décident de tuer le pater pour s’affranchir définitivement.
Seulement, ceux-là, pourquoi se sont-ils crus autorisés à laisser étaler sur la place publique toutes les horreurs dont ils sont les auteurs ? Il faut, à l’évidence, croire que les assurances qu’ils avaient reçues de ne jamais être inquiétés, étayées par l’expérience des années Modibo Keïta, que ces assurances étaient si importantes ; et le sentiment d’impunité chez ces émules tel, qu’ils pouvaient tout se permettre. D’autant que dans leur stratégie, ces publications éphémères et limitées qui ne débordaient pas le cadre du Mali, avaient ceci de positif qu’elles ancraient chez les Touareg le sentiment d’être des parias abandonnés de tous et notamment, de la Communauté internationale. Que leur combat pour un peu de dignité n’avait pas de lendemain.
Il faut surtout croire que ces assurances étaient irréfragables. Sinon, comment expliquer la publication de témoignages comme ceux-ci :

« a) Zone de TAWARDE
Dans cette zone située à quelques deux cents kilomètres au Nord-est [de Kidal] la compagnie des Paras a exécuté sommairement ou brûlé simplement des personnes ; des femmes, dont certaines en grossesse, ont été arrachées à leurs maris et « offertes » aux soldats qui les ont violées »
…….
e) AKLIT (25 km Ouest de Kidal)
Là, la même compagnie des Paras a mis à feu et à sang le campement d’un chef de fraction mobilisé pour trouver la solution à la rébellion. Auparavant le chef des Paras a rassemblé les femmes d’une part et les hommes de l’autre. Demi-vêtus, ils ont tous été atrocement molestés aux cravaches et aux ceinturons. Le discours suivant fut tenu aux femmes par le chef de mission : « Nous allons tuer vos maris que voici, et nous vous épouserons pour avoir de vous des enfants qui vont nous aimer ».
Joignant le geste à la parole, il fit jeter sur les hommes inertes et entassés une première grenade suivie peu après d’une deuxième. Bilan : 6 morts et 4 blessés graves. La septième victime, un homme fut abattu non loin de là d’une balle, à la tête d’un groupe de filles que les militaires ont dépouillées de leurs bracelets. Les cantines du campement furent cassées et vidées par les Paras ; les vêtements et les bijoux des femmes furent vendus à Kidal ».(9)
                                                           ***

« Après que le Lieutenant Cissé et les siens eurent commis leur forfait, exécution de 160 personnes à Ber, ils fouillèrent systématiquement toutes les maisons, toutes les cases, tous les enclos pour récolter un honteux butin de bijoux de veuves, l’héritage des orphelins, des sommes d’argent, des matelas, des postes récepteurs et même des bagues et des montres. Ils fouillèrent les poches des cadavres pour y soustraire des jetons.
…….
Il y a aussi le caporal chef Kassonké, l’homme à tout faire du lieutenant Cissé dit Blo, l’oiseau de mauvais augure qui orne sa chambre avec des oreilles de ses victimes séchées dans du sel… »
……
Sidi Amar Ould Ely, 59 ans, Professeur de français, Directeur du CEDRAB (10), enlevé le 13 juin 1994, a été égorgé et abandonné derrière l’hôtel Azalaï.
Baba Koutam, âgé de 68 ans, commerçant, notable, domicilié à Sankoré a été enlevé chez Moulaye Ahmed Baber, cadi de Tombouctou à 16 heures 30 minutes. Ses jambes ont été brisées par ses bourreaux, il a été égorgé, son corps est jeté sur la route de l’aéroport. Il avait son billet d’avion avec lui.  Alphadi Sidi Mohamed Ould Cheick, commerçant, âgé de 48 ans, a été torturé, devant sa mère, vers 17 heures, il a été égorgé et le corps jeté sur la route de l’aéroport » (11)
etc.


Comment expliquer, autrement, que des crimes aussi odieux (et encore, le mot est faible) aient été relatés dans des journaux qui, si restreinte que soit leur diffusion, sont censés être lus par toutes les chancelleries et organisations internationales présentes au Mali ?  Comment comprendre, autrement, que les juridictions maliennes et internationales n’aient interpellé ni les présumés coupables ni leurs accusateurs? 

Et voilà, pourquoi l’Azawad, naguère prospère, fraternel et plein de vie, se vida de sa substance et, pour finir, de ses habitants. Les chacals même s’en allèrent devant plus chacals qu’eux. On peut être un chacal sans être  un charognard.

Modibo Keïta commença, il est vrai, mais les autres, tous les autres – Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré – continuèrent, assurés de l’impunité. Ils renchérirent sur lui (si tant est que cela soit possible). Sous Moussa Traoré, les militaires maliens écrasèrent à Gao, sous un tank et publiquement, au dire des fronts, un homme vivant.  Amnesty International dit, quant à elle, que ce sont des cadavres  de plus d’une dizaine de personnes exécutées sans jugement qui ont été  écrasés par le tank. Ce qui ne change rien à la monstruosité du crime. Sous Amadou Toumani Touré, c’est un blindé que le bataillon de Tombouctou envoya bombarder la maison (en banco et ouverte, comme le sont, de jour, toutes les maisons de Tombouctou) de feu Mohamedoune Ag Hamani, (12), le tuant et, avec lui, tous les membres de sa famille présents dans la maison. Sous Alpha Oumar Konaré… ; mais à quoi bon ? Les arabes disent : « Haddith wa lâ haraj ! » : « Raconte, tu ne saurais épuiser le sujet !»

Il faut tout de même que je dise un mot de Gandakoye (une création des deux derniers présidents) et de la formidable campagne de rejet et de haine raciale orchestrée, nourrie et entretenue par les mêmes et leurs classes politiques à l’endroit des populations nomades.
Gandakoye ? Qu’est-ce que c’est que Gandakoye ? Qui te dira  ce qu’est Gandakoye ? Tellement complexe et ardu que je préfère vous laisser découvrir cela à travers les documents authentiques. Les maures disent : « la parole, de la bouche de son auteur, a plus de saveur ».


Ce livre, je me proposais, au départ, de le faire paraître sous le titre : « No comment ». Sans commentaires donc et sans introduction. Il me semblait se suffire à lui-même, tant les documents qu’il contient sont parlants, insolites, fous…fous et, comme disait la fameuse émission,… incroyables mais vrais. J’ai renoncé à mon projet premier parce qu’il m’était impossible de publier tout ce que j’avais en ma possession et qu’il me fallait faire un tri. D’où la nécessité de donner à tout cela une charpente, un squelette qui permît à chaque pièce, de cette hors du temps et ahurissante tragédie de l’Azawad, de trouver son ancrage. D’où la nécessité d’apporter l’éclairage nécessaire à la compréhension du cheminement, du déroulement historique des actes de cette tragédie et de leurs prolongements actuels.
J’ai - pour prendre un exemple - parlé avec abondance de Modibo Keïta dans cette introduction. C’est que les documents présentés n’en parlent pas, à mon sens, suffisamment. Depuis sa mort en détention dans des conditions que certains n’hésitent pas à qualifier d’assassinat, les maliens, du moins ceux du Sud, semblent avoir oublié qu’il a été un dictateur de la pire espèce. Il y a même, ces derniers temps, une sorte de « Modibomania » et certains  partis politiques maliens n’ont pas peur de se réclamer ouvertement de lui et de son parti l’USRDA. Pour expliquer cette « Modibomania », voici ce que m’a dit, au cours de mon bref séjour, un malien (du Nord cette fois-ci), faisant un parallèle entre Modibo Keïta et son tombeur Moussa Traoré. Les paroles sont de mon interlocuteur, je lui en laisse toute la responsabilité : « Modibo, tout génocidaire qu’il fût, faisait rêver. Il avait la prestance. Il avait le verbe. Il représentait le Mali avec panache. Moussa Traoré est un avatar, c’est-à-dire une copie dégénérée de président ». Je lui rétorquai, qu’à mon entendement, un dictateur et un dictateur, c’est kif kif.


Et la rébellion ? Parlons-en de la rébellion ou plutôt des rébellions.
Voici ce qu’en dit Mohamed Yehdih Ould Breideleil, un politologue mauritanien dans un article on line (13) publié le 13/08/2012 :
« Les causes immédiates  de la rébellion des années 1960 étaient que, à la place des militaires français, intelligents et adroits, l’Azawad ait été occupé par les militaires maliens, se comportant en pays conquis, dans toutes les sphères de la vie des gens, privée et publique, pouvant aller jusqu’à dépouiller les habitants de leurs derniers biens matériels. C’est un colonialisme sous-développé, déguenillé, qui n’a rien à offrir, en contrepartie de sa domination, que la brutalité et la misère ».              
C’est peut-être là l’une des multiples causes des rébellions des années 90 et 2000 mais non de la toute première rébellion, celle des années 60 que l’incontournable Modibo Keïta voulut à tout prix écraser. Celle-là fut une création ex nihilo des autorités maliennes. Les  documents publiés par les journaux maliens sont formels. Lisez Ambéïry Ag Rhissa :
« En juin 1963, un agent de sécurité malien par son arrogance et sa cruauté, a déclenché un incident néfaste puisant ses racines dans l’époque  coloniale. Dans une scène de pure provocation, il a dit à un jeune Tamachek du nom de Elladji Ag Alla : « Tu ne mérites que le sort réservé par les Français à ton père ».
Or, le père d‘Elladji, Alla Ag Albacher, hostile à l’administration coloniale depuis 1929, a été abattu en 1954, avec son fils aîné Mohammed Ag Alla.
Trois jours après son enterrement, les Français le déterrèrent  et coupèrent sa tête qu’ils exhibèrent en macabre trophée dans toute la zone de Bouressa.
Un tel rappel, que rien ne justifiait, acheva d’exacerber le jeune homme déjà traumatisé par les inimitiés étonnamment manifestées par le premier chef d’arrondissement de Bouressa à son égard. Il décida alors de s’en prendre à tous ceux qui ont aidé l’armée française à localiser et à abattre son père ; c’étaient tous des membres de sa communauté. C’est ainsi qu’après avoir désarmé l’agent de sécurité provocateur et son compagnon, Elladji abattit peu après l’un des principaux guides dont s’étaient servis les patrouilles françaises à la recherche d’Alla. Ce fut la première balle de ce qu’on a appelé la rébellion de Kidal, la balle fatidique, une balle [de trop pour] avoir été tirée contre les autorités maliennes, une balle de simple règlement de comptes « internes ».
Bien qu’elle ait été suivie peu après de la restitution des armes sur intervention de  Monsieur Intalla Ag Attaher, des patrouilles de gendarmerie sillonnèrent le cercle de Kidal en terrorisant les campements des Touareg, notamment en déshabillant des hommes devant leurs familles, et en leur imposant de regarder fixement le soleil, menottes aux poignets. L’étonnement, l’inquiétude et la panique s’emparèrent de la population. Deux mois après ce fut la militarisation de la zone ». (14) 
El l’engrenage inévitable.
Les rébellions se succédèrent. Toujours contenues. Avec l’aide des pays voisins : l’Algérie souvent ; la Mauritanie parfois ou la Libye. Jamais éteintes parce que le Mali ne voulant, en fait,  rien céder ne céda rien. Parce que le Mali courrait et court toujours derrière un seul objectif : une capitulation totale et inconditionnelle des Touareg, une acceptation servile de leur état de parias sans droits.
Dans les Echos (15), Saâd Lounès écrit :
« Depuis les indépendances, on constate une sédentarisation forcée des Touaregs en Algérie et Libye, une marginalisation au Niger et une discrimination au Mali avec une seule alternative : l’exil ou les armes ».
Là réside toute la spécificité du cas malien. Seul le Mali discrimine ou chasse ou supprime ses Touareg ostensiblement. Au grand jour.
La lettre ouverte du Front Islamique Arabe de l’Azawad (FIAA) aux Chefs d’Etat et de Gouvernement réunis au Palais de Chaillot à Paris du 19 au 21 Novembre 1991 précise :
« Les Arabes et les Touareg – que nous sommes – étaient exclus de toutes les sphères  du pouvoir : Forces Armées ; Forces de sécurité ; Magistrature, etc.
Un décret de Modibo Keïta – toujours en vigueur – nous interdisait expressément l’accès à l’Ecole interarmes de Kati »

Comme on aurait aimé que les Touareg maliens fussent « marginalisés » comme le furent leurs homologues nigériens ! Bien de choses auraient changé de cours. 
Je ne prétends pas et les documents que je détiens ne disent pas  que le Niger était un paradis pour les Touareg. Ou qu’il le soit devenu de nos jours. Je dis qu’au Niger, les grandes chefferies traditionnelles touarègues étaient respectées (16) ;  qu’elles étaient, par le passé, souvent dotées de véhicules de service et de gardes ou goumiers en armes ; que le Gouvernement  créa, sans pression aucune, des écoles pour scolariser les nomades et même un collège arabe à Saye, près de Niamey, avec, en fin de scolarité, des bourses pour poursuivre les études supérieures en Libye ou en Egypte. Sans compter la nomination d’un des tout premiers Premiers Ministres africains en la personne du Targui Hamid El Ghabid.
Je dis et les documents disent que le Mali, sous la présidence de Modibo Keïta, refusa l’aide qu’il avait, au préalable acceptée, du royaume chérifien de construire, pour le Lycée Franco-Arabe de Tombouctou (qui n’avait d’ailleurs d’arabe que le nom) un complexe dernier cri pouvant être, par la suite, érigé (sans transformation aucune) en Etablissement d’enseignement supérieur. Avec un financement d’un milliard cinq cents millions de francs maliens. La mairie de Tombouctou, dont le maire, à l’époque, était Mahamane Alassane Haïdara, Président de l’Assemblée Nationale du Mali, avait fait don d’un site à la sortie sud de la ville, sur l’axe bitumé qui mène à l’aéroport. Les équipes marocaines firent plusieurs visites au site, visites  au terme desquelles, les plans du complexe furent définitivement arrêtés. C’est alors que le refus de Bamako vint. Un refus sournois qui ne disait pas son nom.  Ce ne fut pas un niet brutal, à la russe, ce fut : « Ce complexe est disproportionné, il est trop grand pour Tombouctou, construisez-le à Ségou ». Ce que le Royaume chérifien refusa.
De la même manière, à la même époque et sous le même président, fut bloqué un projet saoudien de construction d’un Centre de hautes études islamiques à Tombouctou et dont  l’enveloppe était du même ordre que le projet chérifien.

Les gouvernements maliens successifs voulaient, en réalité, un Mali sans Touareg. Heureusement que les Américains abandonnèrent leurs recherches sur la bombe à neutrons ; autrement, on ne sait jamais en quelles mains elle peut se retrouver un jour. Or, avec un ou deux engins de ce type, on fait place nette en Azawad. Plus de chameaux, plus de Touareg, plus de vie, plus rien sauf les immenses richesses enfuies dans le sous-sol et qu’on pourra exploiter en toute quiétude.
Pensez donc :
« La Mer de Savornin accessible (50 milliards de m3 d’eau douce) et le Bassin de Kattara (3 milliards de m3). Or dès qu’il y a de l’eau, tout devient possible au Sahara. On exploitera à tout-va. Rien que dans la région nord de Tombouctou :
- du gypse : 3 millions de tonnes
- de la mirabilite : 198 millions de tonnes
- de la glaubérite : 366 millions de tonnes
- du charbon : 435 millions de tonnes
- du fer : 500 millions de tonnes
- du manganèse : 3,5 millions de tonnes
- des phosphates : 2 millions de tonnes
- du sel gemme : 53 millions de tonnes
- du diamant ; du platine ; du cuivre ; du nickel ; de l’or ; du lithium ; de l’uranium ; du zinc ; de l’étain ; du plomb ; du pétrole »,  etc.(17)

Et encore ce n’est là que des prévisions d’un autre âge, faites par les services français dans les années cinquante avec des moyens de détection quasi myopes qui ne voient que ce qui saute aux yeux.
Pensez donc : le Mali, le prochain eldorado ! Mais que faire de ces Touareg, empêcheurs d’exploiter en rond ?

On peut espérer qu’avec l’âge (52 ans) et un peu plus de plomb dans la tête, les autorités maliennes, tirant les leçons des derniers rebondissements, voudront  pour la première fois négocier pour «  de vrai » comme disent les enfants (qui sont, souvent,  plus sages que nous) et respecter leur engagement, une fois qu’elles y auront souscrit.
On peut espérer que ces autorités condescendront à considérer enfin les Touareg comme des citoyens à part entière et non comme des apatrides.
Les Touareg n’ont jamais réclamé que l’autonomie(18) et se suffiraient, encore aujourd’hui, d’une autonomie, mais qui en soit une.

Qui n’a pas entendu parler de la lutte trois fois décennale des Casamançais pour leur indépendance ?
L’Azawad pourtant est d’une autre dimension que la Casamance. L’Azawad, c'est 70%  de l’immense Mali, quand la Casamance ne fait que moins de 15% de l’exigu Sénégal. Ce qui n’empêche pas Salif Sadio, commandant en chef des MFDC (19) de parler sur RFI le 3 juillet 2012 de « Casamance libre, souveraine et en paix » ; et d’ajouter : « L’indépendance nationale est un droit absolu, inaliénable, imprescriptible et non négociable ».
Le Sénégal, envoie-t-il, pour autant ses « chiens de guerre », mater les Salif Sadio et Cie ? Bien sûr que non. Le Sénégal, c’est une autre civilisation. Ou bien, faut-il penser que la chance des Casamançais c’est de ne pas être étiquetés comme « blancs » dans une Afrique au sud du Sahara allergique au Blanc ?
Je ne ferai pas l’injure au pays de la « teranga »(20) de faire semblant de croire que c’est surtout parce que Rome veille.
Quoi qu’il en soit, nous verrons avec quel flegme et quelle retenue, les gouvernements sénégalais, de Senghor à  Abdoulaye Wade, s’attaquèrent-ils à ce problème délicat entre tous et comment ils traitèrent ces casamançais (presque seuls chrétiens dans une mer d’Islam) et  indépendantistes invétérés. Ils en firent : des « parents » qu’il convient de ménager.
Ces extraits du numéro 2642 de  JA (21) traitant de la Casamance sont édifiants :

« Ce conflit qui, depuis trois décennies, épuise le sud du Sénégal…
 On a entendu les premiers coups de feu autour de 7h 15 », se souvient Assane Sindi, le premier adjoint au maire. Au retour de leur patrouille nocturne, les soldats se sont fait pilonner. Au Kalach, mais aussi à l’arme lourde. Selon les villageois, trois roquettes ont été tirées en direction de la garnison. La fusillade a duré plus d’une heure…
À six mois  du scrutin présidentiel, Wade vient … de changer de stratégie. Alors qu’il avait écarté la Gambie et la Guinée-Bissau des négociations, il leur fait désormais des appels du pied. Lors d’une visite à Banjul, le 16 Août, il a demandé à son homologue gambien, Yayah Jammeh, « d’intervenir pour la paix en Casamance ».
Car la rébellion a repris du poil de la bête. Ces deux dernières années, les violences se sont multipliées. Entre Octobre 2010 et mars 2011, une vingtaine de soldats sénégalais ont péri sous les balles et les obus des miliciens. On ne compte plus les braquages sur les routes et les pillages dans les villages. Selon les observateurs, les branches militaires du MFDC ont acquis de nouvelles armes. Le groupe de Salif Sadio, sur le front nord, à la frontière gambienne, est particulièrement bien équipé…
« Il y a un vrai risque de voir la rébellion se transformer en mouvement criminel », estime M. [Nouha] Cissé. La région, rappelle-t-il, est gangrenée par le trafic de drogue. Et la Guinée Bissau voisine est considérée comme le premier narco-Etat du continent »…

Tous les ingrédients sont réunis jusques et y compris le massacre au mortier de soldats réguliers, « les braquages sur les routes », le crime et la drogue. Et, nonobstant cela, les pouvoirs sénégalais de toute obédience et de toute tendance gardent leur raison et ne font pas la chasse aux casamançais résidant dans les autres régions du Sénégal ni n’épurent l’armée et l’Administration de ces « traitres ». Nonobstant cet irrédentisme impénitent, l’Abbé Diamancoune, le père spirituel, proclamé et assumé, des indépendantistes casamançais a pu garder sa charge, durant plus de vingt ans et jusqu’à sa mort naturelle ; écouté, souvent consulté et respecté. Comme on est loin, très loin du Mali ! Et comme quelques uns – même s’ils ne sont pas des millions – doivent-ils avoir « mal à  leur Mali » ! Et  moi, né en Azawad sous colonisation, voyant  ce que le Soudan Français est devenu sous des régimes incompétents, irresponsables et criminels, comme j’ai « mal à  mon Soudan ».
L’article de Jeune Afrique continue. Il rapporte les propos du Gouverneur Cheikh Tidiane Dieng.  Ecoutons-le :

« Ce n’est pas une guerre traditionnelle. Ici, c’est la famille » explique le gouverneur.    C’est sa deuxième affectation en Casamance.
M. Dieng reconnaît… que, régulièrement, les forces de l’ordre arrêtent des chefs rebelles, mais il est de coutume de les libérer aussitôt…
Ne pas froisser l’ennemi : voilà la règle, puisqu’aucun des deux camps n’est en mesure de l’emporter ».                              
On croit rêver.


Je disais que les Touareg ne réclament qu’une autonomie, mais qui ne soit pas « bidon »  (c’est un terme que les politiciens maliens n’auront aucun mal à appréhender, il fait partie de leur vocabulaire quotidien) et non octroyée comme une charité que l’on fait à un mendiant. Autant, pour Salif Sadio et ses amis, l’indépendance est « un droit imprescriptible et non négociable » autant, pour les Touareg maliens, l’autonomie est « un droit imprescriptible et non négociable ».
Le séparatisme des nomades maliens ? Un faux problème. Beaucoup de documents publiés ici et qu’on lira l’attestent. Edgar Pisani, un certain temps médiateur, ne dit pas autre chose :
« Ce que je peux dire, quant à moi, ayant rencontré beaucoup de ceux qui sont en rébellion, je n’ai pas rencontré physiquement un rebelle qui ait revendiqué à sortir du Mali ou qui se soit dit non malien. J’ai entendu un cri : « Ce n’est pas nous qui ne voulons pas du Mali, c’est le Mali qui ne veut pas de nous ».(22)

Mais ne nous méprenons pas. Si les autorités continuent de vouloir coûte que coûte bouter hors du Mali les Touareg, oui, il y aura des têtes brûlées qui, un jour ou l’autre, se tailleront à coups de sabre s’il le faut, un Azawad aux dimensions de leurs appétits  et de leur rêve d'avoir leur territoire à eux tous seuls. Quitte à porter la guerre jusqu’aux portes de Bamako et même au-delà,  sans se soucier ni de frontières qui, de toutes façons ne les ont pas pris en compte, ni de la CEDEAO qui, à leurs yeux n’est après tout, qu’une coterie de  chefs noirs exterminateurs et supplétifs d’exterminateurs de nomades, pourvu qu’ils fussent, ces nomades, de peau blanche et sans défense.


Il est urgent donc pour tout le monde que les parties en conflit se mettent autour d’une table et que leurs négociations aboutissent, non pas à un Pacte (qui ne signifie que « paix », étymologiquement)  mais à un accord dont les clauses rendent impossible la guerre, c’est-à-dire qu’elles aménagent le territoire et le pouvoir, les différents pouvoirs de telle sorte que la guerre soit définitivement mise hors jeu.  Les Pactes, il y en eut beaucoup de signés au cours des vingt dernières années sans que le moindre iota fût changé. Parce que qui dit « pacte », donc « paix », dit aussi la guerre virtuellement possible.
La CEDEAO, la Communauté Internationale (l’Algérie, la Mauritanie et la France, en tête) doivent peser de leur poids, tout leur poids sur le Mali pour que cesse définitivement sa politique de faux-fuyants. Durant deux décennies de négociations, les autorités de Bamako ont, pour ne pas appliquer les accords signés solennellement, fait feu de tout bois. La classe politique et les média furent mis en branle, le brasier Gandakoye s’alluma. La mauvaise foi, la déloyauté, la duplicité, tout l’éventail du machiavélisme foncier des gouvernements successifs trouva carrière. Les Fronts de l’Azawad se retrouvèrent devant un véritable rocher de Sisyphe qui, une fois remonté au sommet de la montagne, retombait et qu’il fallait encore et encore remonter sans espoir, jamais, d’en finir. Les douze travaux d’Hercule, semblaient, en regard, une occupation de dilettante.

Il faut faire en sorte que tout cela cesse, dans l’intérêt supérieur du Mali. Un accord, c’est sacré. Une fois signé librement, il doit être appliqué.

Je vais étonner plus d’un en disant que le coup d’Etat du Capitaine Sanogo et de ses hommes est une bénédiction. Un arrêt du destin. Une chance qui ne se renouvellera peut-être pas, et qu’il faut savoir saisir.
En faisant place nette, en débarrassant le Mali d’Amadou Toumani Touré et de ce qu’il charrie avec lui de l’héritage d’Alpha Oumar Konaré, ils ont, ce capitaine et ses sans-grade, rendu à leur pays, sans le savoir et peut-être sans le vouloir, le plus fier des services. Ils lui permettent de repartir du bon pied.

Moussa Traoré avait compris, sur le tard il est vrai, qu’aucune force au monde ne pouvait avoir raison de la « rébellion » touarègue et que, partant, il fallait signer la paix des braves, une paix sans vainqueur ni vaincu. Une paix, comme l’on dit dans un monde de plus en plus mercantile, gagnant-gagnant. Il voulait, il voulut, à tout prix appliquer à la lettre le Pacte conclu avec les différents fronts sous l’égide de l’Algérie. Pour arrêter l’effusion de sang, réconcilier les maliens et peut-être entrer dans l’histoire.
On l’en empêcha. Des puissances étrangères qui ne voulaient aucun  bien au Mali armèrent le bras d’un « mercenaire » : Amadou Toumani Touré. Qui passa le témoin à Konaré pour le reprendre, de celui-ci, dix ans après. On connaît le reste. L’inflation de superlatifs dont les deux « héros » furent - c’est le cas de le dire -  affublés. Un journaliste, que personne ne peut soupçonner d’accointance avec ce genre d’hommes, qualifia Amadou Toumani Touré, s’apprêtant à recevoir les Chefs d’Etat de la France-Afrique en Décembre 2005, de « démocrate » et « d’officier et gentleman ». Cela donne la mesure de la campagne promotionnelle gratuite dont ces deux-là bénéficièrent. Ils pouvaient se pavaner partout de par le grand monde, pleins de matoiserie et de rouerie avec leur air paterne et leurs paroles doucereuses et tout miel qui faisaient s’esclaffer sur leur passage leurs hôtes. Et c’est ainsi qu’on vous boucle, en beauté, un quadruple mandat de cinq ans. Au grand bonheur des membres du G5.

Mais, dans tout cela, le Mali, qu’a-t-il gagné ? On nous a dit qu’il était devenu un modèle de démocratie et de liberté et que sa croissance « flirtait » (c’est leur terme) avec les 7%. Ce n’est pas encore la Chine, mais c’est déjà un « tigre » en devenir. Moi, qui suis revenu, soixante après, voir ce qu’il était advenu de « mon » Soudan  natal, j’ai trouvé « leur » Mali, tout développé qu’il fût, par terre.
Il ne servira à rien, aujourd’hui, ni au Mali ni aux maliens de perdre leur temps à rechercher les causes de leurs malheurs actuels. Les historiens et les sociologues du futur s’en chargeront. Les livres-témoignages déjà parus éclairent certains pans de cette descente aux enfers. Mon  livre, à moi, éclaire a giorno – je l’ai voulu ainsi, aveuglant, parfois agressif – d’autres pans de cette même descente aux enfers qui,  cette fois-ci, voulue, planifiée, programmée pour ne toucher que les Azawadiens seuls a, finalement, emporté tout dans son irrésistible élan, faisant sombrer dans les tréfonds de la géhenne le Mali, corps et biens.
Au risque de fâcher beaucoup de monde et ces messieurs de la CEDEAO, je clame à haute voix que le Capitaine Sanogo a bien mérité de son pays. Il doit, non seulement garder son titre d’ancien Chef d’Etat, mais il est juste et équitable qu’il soit décoré de la plus haute distinction que le Mali offre à ses fils les plus valeureux.
Il est de bon ton de dire que c’est grâce à lui que les MNLA et autres ANSAR EDDINE ont occupé l’Azawad, tout l’Azawad. Toutes les chancelleries du monde et tous ceux dotés d’yeux pour voir savent que les rebelles actuels pouvaient aller d’une traite jusqu’à Bamako et jusqu’au palais de Koulouba pour  y siroter leur trois minuscules verres de thé. Et que les rébellions précédentes, sans l’Algérie et la Libye pourtant décriées, l’auraient tout autant fait. Les documents le prouvent.

Sanogo peut se sentir fier d’avoir, par un coup de maître, mis fin à la mascarade. Il a joué pleinement (ses amis pourront dire, crânement) son rôle historique. Il a chassé de son pays une bande de crapules. En d’autres temps, on disait « vendus ». Mais il faut qu’il ait la sagesse de remettre le pouvoir aux civils. Sans calcul et sans arrière-pensées. Nous sommes, majoritairement, musulmans autour de ce grand Sahara qui devrait, par sa démesure même, nous inciter à nous regrouper et à nous entraider. Il nous fait, à chaque instant, la démonstration à contrario de notre petitesse et de notre insignifiance. La sagesse devrait être notre souverain bien. Le Coran dit : « Il fait don de la sagesse à qui Il veut. C’est être nanti d’un grand bien que d’avoir reçu la sagesse ».  Le « Capitaine » doit savoir partir en beauté et tous ses compatriotes doivent l’y aider et surtout faire en sorte que, ni lui ni les siens, ne soient dans le besoin.
La classe politique malienne, après lui, continuera de faire le ménage. Des prédateurs comme Soumeylou Boubèye Maïga, l’âme damnée et le bras droit de Toumani Touré et d’Alpha Oumar Konaré qui a squatté la sécurité malienne et l’a gangrenée avec ses « virulents songhaïs » comme les appelle Saâd Lounès dans Les Echos, doivent, les premiers, « vider » les lieux.
Comme si l’Azawad  n’était pas militarisé à refus, Soumeylou Boubèye, devenu Ministre des Affaires Etrangères (après qu’il fut dans les Années 90, Directeur Général de la Sécurité de l’Etat, puis Ministre de la Défense et des Forces Armées), voulait encore, en 2011, vendre aux délégations européennes qu’il traînait après lui à Ber (région de Tombouctou), l’idée de la création de « onze nouveaux pôles « sécurisés » de développement »(23). Des vampires comme lui, doivent s’en aller en attendant qu’ils rendent compte du mal qu’ils ont fait en montant sciemment une partie du Mali contre l’autre.
Il y a belle lurette que les services de sécurité, au Mali, sont pourris. Et pas seulement eux, malheureusement! Il faudra, avec  intempérance et sans modération,  épurer. Et parfois, et souvent, passer un magistral coup de balai. Le ménage doit être fait, à grande eau pour une fois que les maliens en ont l’occasion. Une occasion qui risque de ne pas se renouveler de sitôt.
Il est tout aussi urgent, peut-être primordial, que cesse l’agenouillement généralisé de la classe politique malienne devant de fieffées canailles.


La démonstration est faite que le tout sécuritaire et répressif n’est pas la solution au problème de l’Azawad.  La démonstration est faite que, même laissée pour agonisante ou morte, la rébellion des Touareg renaît toujours. Non pas de ses cendres, mais du sang de ses martyrs et d’une terre bénie qui n’a jamais été avare de héros. 
Les maliens savent désormais, documents à l’appui, que cette prétendue rébellion fut créée de toutes pièces par un Modibo Keïta hystérique et par son administration ; qu’elle a été nourrie de leurs exactions qui furent pour elle un combustible quotidiennement disponible et qu’elle a été entretenue depuis par des régimes irresponsables et, quelques fois, vendus.                                                                                                      
Les « rebelles », plus sages que ceux que l’histoire retiendra comme les fossoyeurs du Mali et non pas de son unité seulement, les « rebelles », malgré les malheurs qui leur sont tombés sur la tête et l’animadversion à laquelle ils ont été voués, n’ont jamais réclamé qu’une autonomie  qui les mît à l’abri de ces exactions. Nul ne peut et ne doit leur tenir rigueur d’avoir opposé la force à la force.

Le capitaine Sanogo et les siens ont fait le plus difficile. Faire place nette.
Il ne faudrait pas que les maliens, une fois Sanogo parti, avec les « honneurs » qui siéent à la situation, se laissent submerger par la contingence.  Rien n’est perdu. Tout au contraire. Leur destin est, plus que jamais, entre leurs mains.
Leur unité n’est pas menacée. En tout cas, pas par ceux qu’on a coutume de désigner du doigt. Elle ne sera menacée que s’ils laissent, dans leurs rangs, des brebis galeuses.

Du Sud « utile » comme du Nord « inutile », tous d’un même pays qui peut, par leur volonté commune, devenir une même nation, les maliens doivent avoir en point de mire la « grandeur » de ce pays et sa « place » qui doit être centrale, aux jonctions des deux « Afrique », la noire et la blanche. Cela a toujours été le destin de leur pays ; il doit le rester.

Mais, pour ce faire, il est important de bien choisir la première pierre qu’on posera dans les nouvelles fondations. Il la faut d’un matériau noble, insensible à la corrosion du temps, inaltérable et solide. L’histoire jugera.

                                                                ***


Pour conclure cette introduction qui se veut un électrochoc et qui prend sur soi de dire les vérités que beaucoup veulent taire, j’aimerais déposer dans votre tête et confier à votre intellect, je parle des maliens, ces mots de l’inoubliable Mano Dayak (24), le « fou » du Ténéré, qui  a écrit ses meilleurs textes et réalisé ses meilleurs documentaires sur ce désert ensorcelant et dans lequel il mourut. Victime d’un accident d’avion plus que suspect, peu après son décollage de Niamey alors qu’il revenait, quelques semaines auparavant, d’une longue tournée africaine, en forme de boucle, qui le mena de Ouagadougou à Yamoussoukro, chez le sage Houphouët-Boigny, en passant par Bamako, Nouakchott et Dakar, en quête de conseils et de bonnes volontés pouvant aider à la réconciliation des Nigériens.
Le mot, d’une sensibilité d’écorché, le voici :


Il faut avoir vécu la lente méditation
Que rythme le pas muet et somnolent d’un dromadaire
À travers la mort blanche des sables
Pour comprendre vraiment ce qui sera arraché à l’homme
Avec la disparition du dernier nomade.






NOTES :
 (1) Le Républicain  N° 3082 du 16 Avril 2010
(2) Rassemblement Démocratique Africain.
(3) Le Monde du 6 février 1974.                                                                                                                                     
(4) 20 mai 1991.
(5) Rapport du Cercle d’Agadèz, septembre 1916, cité par Olivier de Sardan, 1984 :156, in rébellion touarègue et question saharienne au Niger ; repris par Saâd Lounès  in Les Touaregs veulent des Etats fédéraux au Mali et au Niger ; article paru dans le journal malien « Les Echos » N° 3701 du 5 juillet 2011.
(6) Bien que les documents publiés dans la presse et par les éditeurs maliens soient presque complets et suffisants par eux-mêmes, il est évident que j’ai aussi eu recours à la diaspora malienne (principalement touarègue) pour écrire certains chapitres de ce livre.
(7) Les Echos N°3701 du 5 Juillet 2011
(8) La partie sud-ouest l’était déjà et pouvait très bien approvisionner le reste de l’Azawad pourvu que soit formée ou fournie une main-d’œuvre agricole qualifiée additionnelle et un encadrement adéquat ; toutes choses qui sont du ressort du pouvoir central.
(9) Cauris-Hebdo N° 16 Page 5.
(10) CEDRAB : Centre d’Etudes, de Documentation et de Recherches Ahmed Baba (de Tombouctou)
(11)  L’Union N° 43 du 19 juillet 1994.
(12)  Ancien très haut responsable de l’Etat, célèbre pour sa défense intransigeante de l’intégrité du Mali et pour  s’être désolidarisé de ses parents nomades, Mohamedoune Ag Hamani refusait la légitimation du recours à la force pour régler des problèmes politiques.
(14) Cauri-Hebdo N° 16 Page 4
(15) Les Echos N° 3701 du 5 juillet 2011
(16) Le sultan d’Agadès était et est encore une personnalité de tout premier plan au Niger.
(17) Réveil N° 04 Page 7
(18)Le Général Kafougouna Koné, Ministre de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales «  a indiqué qu’à l’issue de sa rencontre avec les insurgés, il a pu comprendre qu’ils avaient quatre préoccupations : l’autonomie […] ou aller vers un fédéralisme [...] »  Le Républicain N° 2191 du 14 juillet 2006.
(19) MFDC (Mouvements des Fronts Démocratiques de Casamance)
(20) « Teranga »: hospitalité et savoir vivre
(21) Jeune Afrique N° 2642 du 28 août au 3 septembre 2011  (Extraits pp 34-37)
(22) Les Echos N° 120 du 8/11/1991.
(23) Option-Hebdo N° 051 du 31 mai 2011
(24) Un des chefs de la rébellion touarègue du Niger qui a surtout œuvré pour une autonomie au sein d’un Niger un et indivisible. Les extraits sont tirés de « Paroles de Touaregs » de Maguy Vautier, Albin Michel Jeunesse, Paris, 1997.




















SUR LA PLUS HAUTE MARCHE
Le Mali, pour une fois, N° 1


« Lorsque la ceinture de la colonisation s’est refermée, il y eut encore d’autres ceintures étroites, ces terribles frontières qui ignorèrent la société, l’histoire et les sentiments des hommes. Un [beau] jour, on apprit qu’il était interdit de nomadiser et de voyager au-delà de certaines lignes, qu’il faut cesser tout contact, toute relation, tout commerce avec les frères, les parents de l’autre côté. C’est la prison… à perpétuité.
C’est tout le sens de l’orientation qui change, un amendement [ap]porté aux points cardinaux… L’Ouest n’est plus l’Ouest, l’Est n’est plus l’Est. Ils prirent d’autres noms bizarres et à peine prononçables : les noms artificiels forgés pour désigner les nouvelles colonies ». (1)
Ould Breideleil brosse en peu de mots et en images saisissantes : « l’Ouest n’est plus l’Ouest, l’Est n’est plus l’Est » le tragique de la situation que vécurent les nomades de ce grand désert et que ressentirent, plus que tout autre groupe, les Touareg. Vivre en perpétuel étouffement dans un espace « mesuré » eux, dont le territoire était, naguère, sans limites ; ne plus pouvoir aller à la recherche de l’eau du ciel avec, comme seul guide, les « oreilles laineuses » (2) de son chameau ; cet enfermement, alors qu’ils  n’eurent jamais d’autre boussole que les étoiles et ne connurent, à leurs pérégrinations, de frein que les caprices de la météo, parut à ces farouches sahariens, comme le comble du malheur.
Ils vivront (mais n’anticipons pas) après les « indépendances » des malheurs incommensurablement plus grands. Ces « indépendances » auxquelles, pourtant,  leurs chefs contribuèrent, de manière plus efficiente que toute autre personne, par leur refus collectif du projet OCRS (3).  Les documents publiés par les journaux maliens ne laissent aucun doute sur ce point. (4)
Les colons français, appréhendant qu’ils ne pourraient jamais appliquer à ces hommes du désert des conditions aussi contraignantes que celles que présupposent ces frontières étanches, « allégèrent » pour ainsi dire « au-delà du possible ». Leur administration fut littéralement inexistante. Les Touareg étaient exemptés du service militaire (5), de tout travail forcé de quelque nature qu’il fût et des réquisitions.
Les colons partis, vinrent les nouvelles autorités. Ce fut une autre colonisation, mais « sous-développée » cette fois  et « déguenillée » comme la dépeint au vitriol Ould Breideleil. Le Gouvernement malien crut avoir reçu de la communauté des nations un blanc-seing l’autorisant à faire, à l’intérieur de la portion qui lui échut du Sahara, tout ce que bon lui semblait. Modibo Keïta en vint même à délivrer, à son tour, des blancs-seings à qui il voulut.
Ce fut le début de l’enfer. D’autant que l’administration de l’Azawad, de tout l’Azawad et de l’Azawad seul, se résuma très tôt en une seule structure : l’Armée.
Les Touareg furent comptés, recomptés, insultés, humiliés, spoliés et au, premier petit soupçon d’énervement de leur part, le ciel leur tomba sur la tête avec une soudaineté de typhon et une barbarie droit sortie des cavernes. On assista à la vraie, à l’authentique loi de la jungle. Un défoulement  de primitifs, d’une brutalité et d’une bestialité inouïes.
Pour exécuter un homme, cet insecte d’une fragilité telle que l’indifférence, très souvent, le tue, les sociétés d’antan préféraient le sabre. Avec l’évolution, on en vint à la guillotine et au peloton d’exécution. Les Américains, toujours en avance, inventèrent l’injection létale et la chambre à gaz. Ce qui les mettait loin en avance, devant tous les autres. Sauf le Mali, injoignable.
Mais cela, il ne faut pas le dire aux Yankees. Ils sont capables d’acheter, avec leurs dollars qui n’ont besoin de garanties d’aucune sorte pour être mis sur le marché, tous les cerveaux du monde pour faire plus diabolique encore. Et là, on risque de changer de registre parce que, dans une telle compétition, le Mali, tout pauvre, tout endetté, tout bon dernier du peloton mondial qu’il soit, peut nous réserver des surprises : l’inhumanité et la diablerie, c’est son rayon.
                                                                     ***
Vous allez assister, en plein jour, à une exécution extrajudiciaire comme il y en eut des centaines et des centaines dans l’Adrar des Iforas au cours des années soixante, sous Diby Silas Diarra, mais avec, cette fois, tout le décorum. La victime est un chef religieux Kounta. Retenez qu’il est aveugle de naissance, qu’il a largement dépassé la septantaine et qu’il n’est même pas de la circonscription administrative (l’Adrar) pour laquelle le capitaine Diby Silas Diarra avait reçu « carte blanche » du Président Modibo Keïta. Il est de Bourem. Son crime est d’avoir - selon des soupçons invérifiables - fabriqué des talismans pour les rebelles touareg de l’Adrar.
Les populations : celle de Kidal et celles des campements et villages alentour furent, non pas conviées, mais amenées manu militari. Rien ne se fera en catimini. Ce sera un grand show. Pour ce presque octogénaire et aveugle de naissance, il y aura un poteau d’exécution sur lequel il sera attaché solidement pour l’empêcher de… fuir. La foule, petits et grands, sera haranguée.
Comment se fera l’exécution ? Je vous le donne en mille. Ici, point d’injection létale ou de guillotine, c’est trop folklorique.
Le capitaine a sa propre recette inédite.  Ce n’est pas pour rien que Modiko Keïta lui a donné « carte blanche » et droit de vie et de mort sur tout l’Adrar (bêtes et gens) ; et que lui-même et son bataillon sont régulièrement décorés, chaque 22 Septembre, sur la place de l’indépendance à Bamako.

Il aura même, vous allez voir, pour clore son show, un mot d’anthologie.

« L’événement eut lieu par une journée ensoleillée. Il fit attacher le marabout à un poteau, face à une mitrailleuse 12,7 en batterie. Il s’adressa aux populations en ces termes : « Vous avez devant vous l’homme qui prétend pouvoir assurer à vos maris, vos fils et vos frères, une invulnérabilité. Beaucoup de vos parents y ont cru et continuent d’y croire ce qui les incite à aller aveuglement à la mort.
Aujourd’hui, j’ai décidé de le mettre à l’épreuve c’est pourquoi je vous prends tous à témoin. Je ne tricherai pas. Je l’autorise à porter tous ses gris-gris. S’il s’en sort victorieux, je le ferai décorer et je serai même un de ses fervents adeptes ».
Le capitaine fit un signe au commandant de la pièce mitrailleuse, un ordre sec partit « feu ! ». La mitrailleuse toussa trois fois « Gogog ! Gogog ! Gogog ! » et secoua trois fois le corps du marabout comme dans une danse macabre qui s’arrêta en même temps que la musique de l’arme. Retenu au poteau, le menton sur la poitrine, il bascula en avant sur la pointe des pieds.
À l’adresse des spectateurs médusés, le « lion du désert » cria : « Applaudissez ! » (6)



Après ce morceau de bravoure, dites-moi honnêtement, qui de nos grands chefs, qui de nos grands hommes irait disputer à l’immortel Diby Silas Diarra et à son Président Modibo Keïta et aux maliens qui veulent réhabiliter l’un et ont déjà érigé un mémorial à l’autre, leurs couronnes ?

Il est juste et équitable
de laisser au Mali l’honneur de gravir, pour une fois,
seul
la plus haute marche du podium.



………………………
Notes:
(1) Mohamed Yehdih Ould Breideleil: http://www.cridem.org
(2) Mano Dayak in Paroles de Touaregs de Maguy Vautier, Albin Michel Jeunesse, Paris, 1997
(3) OCRS : Organisation Commune des Régions Sahariennes
(4) Voir Rubrique consacrée à l’OCRS

(5) L’exemption des Touareg du service militaire était en fait une mesure politico-stratégique. Plusieurs administrateurs français de l’AOF (Afrique Occidentale Française) avaient développé la thèse suivante : « Les Touareg sont des populations peu « maniables » et très difficilement « domesticables ». Si nous les scolarisons et leur mettons des armes entre les mains, ils seront les premiers à se soulever contre nous et à déstabiliser toutes nos colonies d’Afrique noire. Sans compter qu’ils sont plus liés humainement et économiquement à leurs parents du Maghreb qu’aux entités dans  lesquelles nous les avons insérés. Pourvu qu’ils nous laissent en paix, oublions-les. Tout le monde sera content. »

(6) Colonel Assimi Souleymane Dembélé : Transferts définitifs, les Editions le Figuier, Bamako, Mali, 2003

Note additionnelle : Le journal Le Réveil N° 04 (1991) publie le texte de la motion finale d’un congrès du parti US-RDA. Sous le sous-titre « Hommages aux héros », on lit : « Le Congrès s’est incliné pieusement devant la mémoire du camarade Modibo Keïta, Secrétaire Général de notre Parti, des camarades […], du colonel Sékou Traoré, des capitaines Diby Silas Diarra, Alassane Diarra, Bakary Camara, Tiékoura Sogodogo, du Lieutenant Jean Bolon Samaké, [...]
Tous ceux-là, auxquels sont rendus en Août 1991 ces vibrants hommages, sont ceux qui ont mis à feu et à sang l’Azawad et, tout particulièrement, l’Adrar des Iforas (région de Kidal). Ils sont depuis les héros -  non seulement - de leur parti l’US-RDA mais aussi de tout le Mali « noir et raciste ». À ne pas confondre avec tout le Mali « noir » qui compte des milliers, peut-être des millions, de gens rassis, pondérés, sachant raison garder (aussi bien musulmans que chrétiens) ; qui ne sont pas des moutons de panurge, ne font pas dans l’amalgame et ne se laissent pas guider par des réactions épidermiques ou par des haines d’un autre âge.
















ENSEMBLE ON EST PLUS FORT
En guise de conclusion


Il faut bien mettre un point final. Le sujet est tellement vaste et présente tellement de facettes, qu’on aimerait, pour ne rien omettre d’essentiel, continuer encore, au risque de grossir l’ouvrage de dizaines de pages supplémentaires et de le rendre  indigeste. Ce qui n’est pas le but recherché. Mais, nonobstant cet aspect du problème, c’est autre chose qui nous a fait tomber la plume des mains : c’est l’écœurement. De quelque côté que l’on prenne les rubriques de ce livre, sous quel angle qu’on les envisage, on ne retrouve que la même chose : la sauvagerie et l’inhumanité.
On voudrait qu’elles nous parlent, ces rubriques, d’amitié, de fraternité, de perspectives d’avenir partagées, d’ethnies réconciliées ;  de construction et de refondation nationales, de formation citoyenne ; qu’elles nous parlent du malien nouveau. De son labeur. De ses rêves. On voudrait qu’elles nous parlent d’un Mali uni dans sa diversité et fier de cette diversité ; on voudrait qu’elles nous parlent d’héritages culturels, d’arts, de patrimoines conservés, ravivés, magnifiés et offerts, non seulement à tous les maliens sans exclusive, mais aussi au reste du monde.
On voudrait que ces rubriques, nous parlent d’un pays qui fut grand de par son histoire, d’un pays qui fut grand par ses empires qui ont toujours su brasser et unifier et faire vivre harmonieusement les ethnies les plus diverses, d’un pays qui fut grand par ses rois et ses empereurs, leur bravoure, leur intrépidité et leur faste légendaire ; qui fut grand par ses cités historiques qui ont montré au reste du monde étonné et ébahi que l’on pouvait, dans des conditions extrêmes, cultiver l’érudition et créer une civilisation pouvant avantageusement tenir la comparaison avec celles des autres régions du monde.      
On voudrait, en somme, que ces rubriques nous parlent d’un pays et d’un peuple qui furent grands et qui veulent le rester et qui font, jour après jour, ce qu’il faut pour le rester.
On voudrait que ces rubriques…
Mais elles ne nous parlent que de forfaiture, d’exclusion, de racisme, de malhonnêteté intellectuelle… Et si ce n’était que de cela, mais non, elles nous parlent, en plus et jusqu’à l’écœurement, d’assassinats et de meurtres.
Quel immense gâchis ! Quelle monstrueuse perversion !
Sennen Andriamirado et moi, nous nous retrouvons sur une chose : la grandeur passée du Mali et de son peuple. Nous divergeons sur le reste.
Lui, c’était en 1992, après les premières élections libres du pays. Il gardait espoir. Aussi émit-il un vœu :
 « Les Maliens sont debout. Maintenant il faut marcher. La route est longue jusqu’à l’horizon. »(1)
Il n’avait pas tenu compte des autres paramètres à moins qu’il n’ait, en toute connaissance de cause, choisi d’occulter le problème de l'Azawad.
Quant à moi, vingt ans après son vœu, le mien est le suivant :
« Puissent tous les apprentis dictateurs, apprentis sorciers et faux monnayeurs, qui ont mis le Mali là où il est aujourd’hui, et leurs futurs imitateurs se rappeler qu’ils ont, désormais, ou auront la justice à leurs trousses ».
J’ouvre une parenthèse pour dire ceci :
 Tous les documents publiés dans ce livre ou presque sont des reprises d’articles de journaux maliens (journaux reconnus et autorisés). Articles publiés, certains depuis plus de deux décennies, et qui n’ont jamais fait l’objet de décisions de quelque nature qu’elles fussent : administrative ou judiciaire. Tous les présidents maliens (à l’exception de Modibo Keïta, déchu du pouvoir en 1968 et mort en détention en 1977) ont lu ces articles (ou ont eu la possibilité de le faire) sans objection de leur part. Aucun de ceux qui ont été pris à partie dans ces articles n’a utilisé, ne serait-ce que son « droit (naturel) de réponse ». Aucun (y compris ceux qui étaient en exercice au moment de la parution de ces articles) n’a déferré qui que ce soit devant les juridictions maliennes pour des accusations d’une gravité aussi exceptionnelle.
D’autres documents proviennent d’ouvrages maliens, écrits par des maliens, édités au Mali par des éditions maliennes. Et auxquels s’applique tout ce qui vient d’être dit à propos des articles de presse.
Le reste (très peu) provient d’organisations non gouvernementales (Amnesty International et KWIA), des Fronts de l’Azawad et de la société civile malienne, documents tous adressés aux plus hautes autorités de l’Etat ou rendus publics. Ce reste, au demeurant, même s’il a paru nécessaire de le publier, n’ajoute rien d’essentiel à ce que disent les deux  premières sources.
Je ferme la parenthèse.

Pour les maliens, parce qu’il faut finir sur une note d’espoir ou sur un conseil d’ami, je voudrais leur dire :
« Vous avez un magnifique pays. Je l’ai connu quand il n’était pas divisé. Quand il était uni, quand il était fraternel, quand les relations de « cousinage » entre ethnies permettaient d’aplanir et de régler la plupart des conflits ; quand les conflits eux-mêmes n’étaient, en fait, jamais ethniques : ce n’étaient pas des blancs contre des noirs ou des mossis contre des peuls, c’étaient des problèmes qui surgissaient autour des points d’eau ou des champs ou des pâturages et qui mettaient aux prises ceux qui se partageaient ces ressources de quelque race ou de quelque ethnie qu’ils soient.
Votre pays est un pays central qui a vocation à être du sud comme il a vocation à être du nord. C’est un pays trait d’union, socialement et culturellement. Il n’est jamais grand et il n’a jamais sa  pleine stature que lorsqu’il reste dans ce rôle. Si Modibo Keïta a pu réconcilier les frères ennemis algérien et marocain en Octobre 1963  c’est parce qu’il était lui-même l’un d’eux. S’il a pu si facilement avoir leur appui pour mettre fin à la « rébellion » touarègue, c’est que ces deux-là (le Président algérien et le Roi du Maroc) n’envisageaient pas le problème de l’Azawad sous l’angle de la race ; c’est qu’ils croyaient en un Mali un, multiracial et multiculturel où le Bozo et le Berbère (Arabe ou Targui) seraient pareillement chez eux. C’est qu’ils n’avaient jamais, à aucun moment, songé qu’il pût y avoir un Diby Silas Diarra ».
Je voudrais dire aux maliens : « Vous avez, de par sa diversité, un pays riche dans tous les sens du terme. Le nord et le sud se complètent et se soutiennent. Ici, un pays bien arrosé où il suffit de semer pour récolter. Une densité de population qui permet d’entreprendre et de réussir les projets de développement les plus ambitieux. Là, un pastoralisme des grands espaces qui permet l’autosuffisance en animaux sur pied, en produits laitiers, en viande et en produits dérivés. Un pastoralisme dont l’empreinte sur le sol est très légère et dont tous les acteurs, d’une grande frugalité et d’une grande sobriété, ne coûtent quasiment rien à l’Etat.
Ici et là, peut-être là plus qu’ici, de fabuleuses richesses minières pour lesquelles il faut la paix et la stabilité. Ici et là, Savane et Désert conjugués, le Mali, n’eût été ses dirigeants, aurait été depuis des décennies un des rares pays africains à assurer à ses ressortissants l’autosuffisance alimentaire ».
Je voudrais dire aux maliens : « Vous avez un beau pays, ne le détruisez pas ».
Je voudrais leur dire, surtout à ceux du « sud » : « N’écoutez plus ceux d’entre vous qui prônent la haine raciale et l’ostracisme, n’écoutez plus ceux qui veulent vous imposer leurs choix qui ne sont pas forcément les vôtres. Ils vous disent que les Touareg ne sont pas des maliens ; ils vous disent que vous pouvez, avec l’aide de la CEDEAO et du Conseil de Sécurité, les « bouter » hors du Mali. Tous ceux-là sont des oiseaux de malheur ».
« Qu’ont-ils à gagner les Maliens, me disait en 1990, un diplomate en poste dans un des pays du Maghreb, qu’ont-ils à gagner les Maliens à se couper de leurs Touareg ? » La réponse est naturellement : rien.
Je voudrais dire à cette frange de maliens : « Que les Touareg sont chez eux au Mali, sinon plus, du moins autant que le sont les Wangara à Tombouctou, pour ne prendre qu’un seul exemple. Ceux-ci sont à Tombouctou, selon les meilleures sources depuis le 15è siècle alors que ceux-là sont en Azawad depuis des millénaires. Personne ne peut les « bouter » hors de chez eux. Il faut bien que les oiseaux de malheur dont il est question plus haut s’en fassent une raison ».
Je voudrais leur dire: « Que la paix ne se décrète pas. La paix véritable - qui ne peut être synonyme de trêve -, c’est une relation d’un tout autre genre qui se noue entre les cœurs, c’est un sentiment magique qui fait, qu’en présence de « l’autre », on se sent « protégé ». « L’autre » est un autre « soi-même ». C’est  cette paix qu’il vous faut avec vos Touareg, j’allais dire avec « vous-mêmes ».
Posez-vous la question suivante : À quelle distance de cette paix vous mettent vos massacres périodiques de Touareg dans toutes les agglomérations maliennes y compris la capitale Bamako et les destructions et pillages de leurs habitations et de leurs boutiques ? À quelle distance de cette paix vous mettent vos assassinats de Mauritaniens, installés depuis longtemps chez vous et recensés, ou de passage sur votre sol, pour le seul fait qu’ils appartiennent aux mêmes groupes ethniques que les nomades maliens ?
Posez-vous cette autre question : Pourquoi le Niger (avec des problèmes en tout semblables aux vôtres) n’a-t-il jamais fait la chasse à ses Touareg ? Pourquoi aucune famille Targuie n’a-t-elle jamais été chassée des principales villes du Niger et, encore moins, de la capitale Niamey ? Pourquoi les Nomades du Mali et de Mauritanie se sentent-ils en sécurité au Niger ? » (2)
Je voudrais dire à ces maliens – sans être un donneur de leçons – parce qu’étant né chez eux, j’ai pour leur pays un amour filial et pour eux un devoir de sincérité : « Faites la paix, d’abord, avec vous-mêmes et en vous-mêmes.
Les Touareg sont vos frères. Ils pensent comme l’a si bien rapporté  Edgar Pisani, le médiateur,  que c’est vous du sud, disons-le crûment, vous les « noirs » qui ne voulez pas d’eux.  N’écoutez pas les racistes qui sont parmi vous, les diviseurs. Suivez votre cœur : ouvrez à vos Nomades : Touareg, Arabes et, pour en rire au moins une fois, à vos  « oreilles rouges », largement vos bras. Faites la paix des cœurs réconciliés.
Vous avez beaucoup à faire ensemble. Mais ensemble, on est plus fort. Et les Maures disent à juste titre que : « la charge du groupe pèse le poids d’une plume d’oiseau ».
Puisse la réconciliation des maliens permettre que la reconstruction du Mali ne soit plus que de cet ordre.



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(1)Sennen Andriamirado : Jeune Afrique N° 1634-1635 du 30 avril au 13 mai 1992
(2) Le Niger, pourtant, a connu ce que le Mali n’a pas connu (et qu’il n’aurait apparemment pas toléré) une tentative de coup d’Etat qui aurait été perpétrée par un Nomade, le Capitaine Sidi Mohamed, chargé de la sécurité personnelle du Président Seyni Kountché. En dehors des présumés coupables, personne n’a été inquiété. Il n’y eut aucun pogrom parmi les populations Touarègues ou Arabes du Niger. Le Niger est resté, comme il le fut auparavant,  un pays d’accueil et  une destination de choix pour les Nomades de tout le Sahel.